Descartes et Pascal “embarqués”

Paris, 1647: Descartes, déjà philosophe et savant renommé, et le jeune prodige Pascal se retrouvent face à face. De cet entretien, nous ne savons pas grand chose, si ce n'est qu'il s'est mal passé. Un vide à remplir pour le dramaturge... La controverse sur l'existence du vide fournit d'ailleurs à Descartes une amorce à la conversation. Or Pascal refuse d'en parler. Le travail scientifique, annonce-t-il, ne l'intéresse plus car il ne touche pas à l'essentiel, à l'éternel, à la connaissance de Dieu... 

Ainsi débute le conflit central de la pièce, née d'une déception mutuelle: Descartes espère trouver un fils intellectuel, un disciple brillant qui pourra prolonger son travail; Pascal cherche un allié dans des controverses théologiques et politiques, voire un homme capable de saisir le sens profond de ses souffrances spirituelles et existentielles...
 

Par moment, la pièce cristallise en termes simples ce qui oppose les deux philosophes aussi bien dans leurs idées que dans leur manière d'être :

DESCARTES : Nous ne voyons Dieu, je crois, avec les mêmes yeux.  

PASCAL : Je crois que vous le déduisez, Monsieur ; vous ne le voyez pas.  Il est en vous comme un principe, en moi comme une chaleur.  Vous le pensez, moi, je le sens : voilà toute la différence.          

On pourrait alors avoir l'impression d'assister à un duel conceptuel incarné, opposant, par exemple, la raison à la foi ou au sentiment.  Ce serait oublier qu'au moment de la rencontre, vingt-sept ans séparent Descartes de son jeune interlocuteur de 24 ans, dont les plus grandes œuvres sont encore devant lui. En partie pour cette raison, Daniel Mesguich joue indéniablement le beau rôle.  Faisant figure de « bon sens », il est mûr et expérimenté, rationnel et raisonnable, prudent et posé, bon vivant, insouciant et plein d'anecdotes de  voyages. Le Pascal incarné par son fils, au contraire, est mal dans sa peau et dans le monde, austère et sévère, fébrile et fervent, dogmatique dans sa foi et enclin à des envolées agressives mais peu persuasives. « Vous êtes intraitable ! » s'exclame Descartes.

Le décalage est si poussé que le spectateur a naturellement tendance à se rallier aux idées de Descartes, bien plus qu'à celles d'un Pascal qui rejette l'« esprit de géométrie », sans avoir trouvé l'« esprit de finesse », cet art de persuader qui deviendra sa marque de fabrique – alors même qu'il nous délivre à plusieurs reprises quelques phrases-clés des futures Pensées. Or, dans ses meilleurs moments, la pièce se sert de formules pascaliennes de manière beaucoup plus inattendue... dans la bouche de Descartes !  « Vous êtes embarqué »: l'aîné rappelle au jeune qu'il a des choix à faire ici-bas, donnant ainsi une nouvelle orientation au pari pascalien. Espoirs déçus, attentes incompatibles, échec de la communication, on aurait pu croire que Descartes et Pascal étaient en tout point opposés.  Mais malgré la difficulté de leur relation – ou peut-être grâce à elle – leurs points de vue s'entremêlent de manière insoupçonnée.