Édouard Glissant, Régis Debray. La République à l’heure créole
L’esprit français existe : ils l’ont rencontré. Mais l’écrivain antillais Édouard Glissant et le philosophe Régis Debray en ont une vision différente : idée fraternelle d’une communauté idéale ou machine à broyer les identités. Les ambitions universelles du modèle français ont-elles encore un avenir ?
Ce sont quasiment deux frères d’armes, deux grandes figures politiques et intellectuelles des cinquante dernières années, qui ont partagé de nombreux combats : la révolution, le socialisme, l’anticolonialisme, le surréalisme. Et pourtant Régis Debray et Édouard Glissant se sont forgé deux idées très différentes de la France et de son rôle dans le monde d’aujourd’hui. Né à Paris en 1928, Régis Debray est philosophe. Ancien compagnon du Che dans la guérilla et les prisons boliviennes au sortir de l’ENS, il a contribué aux côtés de Mitterrand à la victoire de l’union de la gauche avant de devenir le grand défenseur du républicanisme à la française. Fondateur de la « médiologie » (l’étude des supports de transmission des messages), il concentre ses recherches sur la fonction du religieux dans la constitution des communautés politiques – Critique de la raison politique ou l’inconscient religieux (Gallimard, 1981) ; Le Feu sacré. Fonction du religieux (Fayard, 2003). Son dernier essai, Le Moment fraternité (Gallimard, 2009), est consacré à la grande oubliée de la devise nationale.
« L'esprit français, c'est la prétention de connaître le monde et de le dominer. »
Édouard Glissant
Né à Fort-de-France en 1928, l’écrivain Édouard Glissant, fer de lance de la lutte anticoloniale, compagnon d’Aimé Césaire (même s’il refuse la notion de « négritude » et opte pour la « créolisation »), un moment interdit de séjour chez lui, aux Antilles, pour indépendantisme, a fondé l’Institut du Tout-Monde et est devenu, du Japon à New York, une référence pour penser l’éclatement des identités à l’âge de la mondialisation. À l’origine d’une réflexion exigeante sur l’histoire des humanités à l’épreuve du colonialisme et de la décolonisation, des mémoires conflictuelles de la traite et de l’esclavage, il a eu l’intuition du décentrement de la pensée produit par le métissage actuel des langues, des peuples et des cultures. Auteur avec Patrick Chamoiseau de plusieurs textes d’intervention – Quand les murs tombent, l’identité nationale hors la loi ? (Galaade, 2007) –, il vient de publier un essai, Philosophie de la relation (Gallimard), qui donne à penser le réel comme un nœud inextricable de relations et lègue une belle devise pour le présent : « Agis dans ton lieu, pense avec le monde. » Les deux penseurs confrontent leurs points de vue sur cet esprit français qui est le leur… et le nôtre.
Régis Debray : N’étant ni spirite, ni spiritualiste, l’idée d’« esprit français » aurait d’abord tendance à me faire rire. Esprit, es-tu là ? Ensuite, elle me met en colère : qu’est-ce donc que cette passion pour le juste milieu, le bonnet de laine, les coteaux de la Loire ? Je ne me reconnais en rien dans cette liste, qui n’inclut ni Lautréamont, ni Claudel, ni Rimbaud et, ajouterai-je, ni Glissant. Et puis je me dis : quand même, l’esprit français, ça existe. Mais il faut s’expatrier pour en prendre conscience, comme il faut vieillir pour se rappeler ses origines. Voilà ce qui le définit à mes yeux : un mélange de Michelet et de Tintin, la lutte du petit contre les grands, du royaume contre l’empire, un pays fait pour embêter le monde. Un pays éventé, imprévisible, incorrigible, entre d’Artagnan et Arsène Lupin. En pensant à Bachelard, la France me fait sentir l’eau vive de la rivière par opposition à l’océan, anglo-saxon, ou au lac helvétique. Il y a dans l’être français quelque chose de l’écume, de la fontaine et de la cascade d’une eau printanière, capricieuse, féminine, qui ne donne pas le vertige comme d’autres mais est assez allante pour qu’on ne s’endorme pas.
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