Fabrice Midal, Aymeric Monville. Marx vs. Bouddha !
Ils sont d’accord sur un point : notre marge de manœuvre au sein de la société est inexistante. De là à s’entendre sur les raisons de ce constat et sur les moyens de s’en extirper, il ne fallait peut-être pas rêver… Dialogue acéré entre le marxiste pur et dur Aymeric Monville et le promoteur de la méditation bouddhiste Fabrice Midal.
Un café nommé Le Fumoir où fumer est interdit. Un beau symbole des mirages de la liberté contemporaine ! Fabrice Midal et Aymeric Monville, qui s’y sont rencontrés, ne limitent pas leur révolte aux lois antitabac. Mais s’ils déplorent l’absence de liberté dans notre société, tout les oppose. Aymeric Monville publie aux éditions Delga, qu’il a fondées et dirige, des penseurs marxistes tels Michel Clouscard (1928-2009). Dans Misère du nietzschéisme de gauche (Aden, 2007), il fustige « la fuite dans la subjectivité », le « primat de l’émotionnel et de l’intuitif » et la « survivance involontaire de références théologiques ». Fabrice Midal, lui, fait l’apologie dans Risquer la liberté (réédité en Points, Seuil) de la méditation bouddhiste, de la poésie appliquée au quotidien… et de Nietzsche. Dans son dernier ouvrage, Auschwitz, l’impossible regard (Seuil), il a des mots très durs pour le communisme, aveugle selon lui devant la Solution finale. Sur les sources de l’aliénation contemporaine, le sens et les moyens de s’en libérer, leurs analyses s’entrechoquent. Bref, entre ce marxiste pur et dur et cet apôtre d’une nouvelle sagesse inspirée du bouddhisme, il n’y a guère de voie du milieu.
1 / L’uniformisation du monde, une tragédie ?
Fabrice Midal : Nous vivons une époque paradoxale. Nous avons tous le sentiment d’être libres. Or, comment l’être quand règne l’uniformisation ? En effet, au sens propre, nous portons des uniformes – fabriqués industriellement d’un bout à l’autre de la planète. Nous achetons les mêmes meubles, écoutons la même musique, retrouvons les mêmes magasins partout. C’est la forme industrielle de l’aliénation. Il n’existe plus qu’un seul modèle imposé. Dans cette perspective, il devient difficile d’être en rapport à ce qui nous est le plus propre, d’inventer notre existence et de penser par nous-mêmes – l’un des éléments décisifs de toute liberté.
Aymeric Monville : Pour moi, au contraire, cette uniformisation est la condition même de la liberté. La dénoncer, c’est emprunter une fausse piste. Elle correspond simplement à un surcroît de production matérielle. Les HLM que vous fustigez ont permis aux gens de sortir des bidonvilles, de commencer à se libérer de la misère. Cette uniformisation dans les modes de production industriels crée-t-elle également une uniformisation dans les esprits ? Je ne le crois pas. Comme Marx, je suis heureux que nous ne vivions plus dans un monde féodal et que nous soyons passés à un mode de production industriel. Le problème d’aujourd’hui n’est donc pas que le producteur ne soit plus un artisan ou un paysan, mais qu’il soit séparé de sa production, de ce qu’il produit, de pourquoi il produit, et du fait qu’il ne tire pas le profit de son travail. Marx ne présente pas l’aliénation comme le fait d’être étranger à soi, de manière purement idéaliste. Il parle surtout de la séparation entre les producteurs et les moyens de productions, qui est l’une des caractéristiques du mode de production capitaliste. Le problème est l’appropriation privée des grands moyens de production et d’échange. Le mode de production capitaliste n’est destiné qu’à la recherche de profit, et non à l’emploi ou à la mise en commun des valeurs humaines. Du coup, nous vivons dans une situation paradoxale, que le sociologue marxiste Michel Clouscard résumait ainsi : « Tout est permis, mais rien n’est possible. » Il y a tout de même un espoir : si le capitalisme crée le prolétariat industriel, il crée aussi les conditions de sa propre fin.
F. M. : Je ne crois pas légitime de pouvoir déterminer si nous vivons mieux ou moins bien qu’avant. Kant ici a raison dans sa mise en garde. Pour l’être humain, il n’est pas possible d’avoir un rapport « objectif » au sort de l’humanité – notre rapport à l’histoire n’est pas celui que Copernic peut avoir avec les planètes. Nous sommes toujours aussi bien juges que partie. Mais ce que nous devons faire est de déterminer les conditions qui nous empêchent ici et maintenant d’accéder à la liberté. Or là, l’analyse marxiste de ces conditions est trop étroite.
Quatre penseurs et praticiens vous dévoilent leur méthode pour se recentrer – ou se démultiplier sans se perdre. Avec Fabrice Midal, la méditation.
Fabrice Midal et Abdelwahab Meddeb ont confronté les points de vue de l’islam et du bouddhisme sur le bonheur. Loin d’un état de contemplation…
Wittgenstein à l’appui, le philosophe Fabrice Midal propose une vision réjouissante du « ne rien faire ». Sans lâcheté, sans paresse, sans…
Fabrice Luchini revient sur scène pour y dire des textes sur l’argent. Il lit Zola, Guitry, Marx, mais aussi un penseur contemporain qu’il…
Lorsqu’on obéit, par définition, on se soumet. À première vue, la liberté suppose donc l’absence d’obéissance. Mais cette définition de la liberté…
Nous vivons dans un monde où les individus sont incités à tout gérer par la volonté tout en s’accordant de temps à autre des moments de lâcher prise où ils…
Le premier est passionné par le bouddhisme et la méditation. Le second était un grand spécialiste de l’islam. Ils confrontent ici la vision du bonheur qui se…
Comédien truculent, passionné de théâtre et de littérature, Fabrice Luchini excelle dans ses lectures de Céline, Flaubert, La Fontaine ou Nietzsche. Ancien apprenti coiffeur né à Paris en 1951, il a été révélé par Éric Rohmer, avec…