Féminisme et pacifisme, même combat ?

Comme le montre le cas russe avec la protestation des mères de soldats réquisitionnés, la question de la maternité occupe une place prépondérante dans l’opposition des femmes à la guerre. Mais ce n’est pas la seule raison mise en avant pour expliquer que le monde patriarcal est un monde de guerre, dans lequel la violence exercée par un ennemi serait comme le reflet de l’oppression cruelle exercée par les hommes sur le genre féminin. Dans un cas comme dans l’autre, un même mépris de la personne humaine. La philosophe et militante allemande Helene Stöcker (1869-1943) dénonçait ainsi, dans Verkünder und Verwirklicher. Beiträge zum Gewaltproblem (« Annonce et concrétisation. Contributions au problème de la violence », non traduit, 1928), cette « double morale » qui conduit à oblitérer l’humanité de certains groupes pour mieux les violenter.

Maternité, l’internationale des femmes

« Est-il des femmes qui élèvent leurs enfants pour les envoyer à la guerre ? », interroge rhétoriquement l’écrivaine et pédagogue suédoise Ellen Key (1849-1926) dans War, Peace, and the Future (« La Guerre, la Paix et l’Avenir », non traduit, 1916). « Cela me semble dur à croire. » Un demi-siècle plus tard, Danielle Le Bricquir et Odette Thibault, du Mouvement de résistance internationale des femmes à la guerre, expriment le même point de vue dans Féminisme et pacifisme, même combat (1985) : « Je doute que des êtres qui donnent la vie puissent décider délibérément de donner la mort. » Il faut être un homme, ne pas avoir donné naissance, pour vouloir la guerre.

Tel est, peut-être, l’argument le plus saillant, et le plus récurrent, du raisonnement des féministes pacifistes. L’essayiste et journaliste Marcelle Capy (1891-1962) donne le ton dans son article « À bas les armes » (1932) : « Les mères de tous pays, de toutes races, ont une patrie commune. Et c’est leur maternité. Toutes pensent obscurément mais réellement, “je voudrais que mon enfant soit, au moins, un peu plus heureux que moi.” […] Elles l’ont toujours pensé, par instinct – sans quoi elles n’auraient pas trouvé en elles la force de sacrifice nécessaire à la transmission de la vie. L’espoir, en avant, est la profonde vérité des femmes. »

Les femmes, en raison de la maternité, sont placées du côté de la création (de nouveaux individus et, partant, de la société dans son ensemble) ; elles s’opposent donc, comme le souligne encore l’écrivaine et éducatrice Madeleine Vernet (1878-1949), promotrice d’une « internationale des mères » : « C’est parce que la femme est créatrice que son rôle est prépondérant dans la société. La maternité est sa force ; bien qu’on ait trop souvent dit que cette maternité était sa faiblesse. […] La maternité n’a pas de patrie, et la Kabyle et l’Arabe qui bercent leurs petits au soleil sont les sœurs de la Française et de l’Allemande qui les endorment au coin du feu. […] La guerre ! Quelle formidable insulte à la Maternité ! Car faire montre d’un tel mépris de la vie, c’est mépriser celles qui en sont les créatrices et les gardiennes. […] C’est vous qui êtes créatrices de la vie, c’est vous qui devez défendre la vie. »