Bellone, l’autre déesse de la guerre

Retrouvez l’intégralité de notre sélection de livres philosophiques sur la guerre dans ce dossier.

Dans la mythologie romaine, Bellone est la déesse de la guerre, sœur de Mars. Mais là où Mars représente surtout la bravoure au combat et la protection de son sol natal, l’image que laisse Bellone aux poètes latins est plutôt celle d’une dame cruelle qui sème la destruction. Dans l’Énéide, Virgile la figure avec un fouet sanglant. Sénèque, dans Agamemnon, annonce gravement « Bellone aux mains sanglantes / La sinistre déesse de la guerre ». Dans le salon de la Guerre du château de Versailles, les visiteurs peuvent admirer Bellone en fureur, où la déesse sur son char renverse la Justice et les Arts. Après avoir connu deux guerres mondiales, ce n’est donc pas un hasard si l’anthropologue Roger Caillois choisit la destructrice Bellone pour parrainer son essai sur la guerre de 1963, Bellone ou la pente de la guerre.

La première vertu de ce livre peu connu, c’est que Roger Caillois propose une typologie de la guerre à travers les âges, comme il l’avait fait pour le jeu dans Les Jeux et les Hommes (1957). Il y a d’abord la guerre primitive, « apparentée à la chasse : l’ennemi est un gibier qu’il s’agit de surprendre ». Puis la guerre féodale, qui tient de la cérémonie et du jeu : « L’égalité des chances y est soigneusement respectée et l’on recherche une victoire plus symbolique que réelle. » Mais ce type-là de guerre, tantôt nommée « guerre courtoise », n’est pas uniquement l’apanage des seigneurs européens : « Les Ba-mbalas conviennent d’un jour et d’un lieu pour la bataille : on dégage le terrain et l’on détermine soigneusement les procédés de combat. » Pareillement, « les Gannawaris du Nigéria laissent passer un délai de trois jours entre la querelle et les hostilités : c’est le temps dit de l’affûtage du couteau. » Le principe, c’est que la guerre se présente comme une lutte réglée dont les pratiques conventionnelles rappellent le règlement d’un jeu. Comme si l’humanité cherchait par là à canaliser la violence de la guerre, son exercice est circonscrit dans le temps et l’espace. On ne veut pas anéantir l’adversaire mais obtenir l’aveu de sa défaite. C’est le plus souvent une caste privilégiée qui s’y livre, et non toute la société.