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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Paris, le 25 novembre 2023 lors de la manifestation contre les violences faites aux femmes. © Marie Rouge

Chose vue

“Il lit Mona Chollet mais jamais il ferme sa gueule” : que veut dire cette pancarte féministe ?

Clara Degiovanni publié le 07 décembre 2023 6 min

Ce slogan, brandi sur une pancarte à l’occasion de la dernière manifestation féministe du 25 novembre, a beaucoup circulé sur les réseaux sociaux. Il dénonce l’attitude qui consisterait, de la part de certains hommes, à expliquer le féminisme aux femmes elles-mêmes. Du « mansplaining » à « l’injustice épistémique », ce comportement a été décortiqué et dénoncé par de nombreuses féministes. Explication.


 

À première vue, lire Mona Chollet n’a rien de répréhensible. Au contraire. L’autrice du best-seller Sorcières (La Découverte, 2018) ou de Beauté fatale (La Découverte) est une référence pour celles et ceux qui souhaitent en apprendre plus sur l’histoire des femmes et le féminisme. Dans ce cas, pourrait-on demander, pourquoi s’en prendre à un homme qui aurait lu Mona Chollet ?

Ce procès que l’on fait aux hommes lisant les féministes peut paraître injuste. Il donne l’impression que le féminisme est l’apanage exclusif des femmes, et que toute tentative de s’emparer de ces questionnements sera forcément vue comme une incursion hostile en territoire réservé. Pourtant, la formule, qui se veut d’abord humoristique, ne cherche pas à fustiger les mâles qui s’informent et parlent de féminisme. Elle vise plutôt à dénoncer ceux qui essaient d’instrumentaliser ce courant de pensée à des fins opportunistes, voire antiféministes.

Monsieur “je t’explique la vie”

Pour comprendre le slogan inscrit sur la pancarte, il faut s’imaginer un personnage précis, que nombre de femmes ont eu l’occasion de rencontrer au cours de leur vie. L’écrivaine américaine Rebecca Solnit lui a donné un nom : « Monsieur Important », qui fait partie de « ces hommes qui [lui] expliquent la vie ». Il sait donc mieux que n’importe quelle féministe comment le féminisme fonctionne ou devrait fonctionner … « M. Important », ou celui qui parle de Mona Chollet à longueur de rendez-vous galants et de discussions au café, appartiendrait donc à la catégorie des « mansplainers ». Le terme, inspiré d’un article écrit dès 2008 par Solnit elle-même, désigne un homme qui explique à une femme un sujet dont elle est pourtant experte. En l’occurrence, Solnit a vécu une situation plutôt cocasse lorsqu’un homme a tenté longuement de lui expliquer le livre… dont elle était l’autrice. « Les hommes qui m’expliquent la vie s’imaginent toujours que je suis, pour reprendre une métaphore obscène de la fécondation, un réceptacle vierge qui n’attend que de recueillir leur sagesse et leur savoir », déplore l'écrivaine.

Lorsqu’un homme explique le féminisme à une femme, il risque parfois de rejouer ces rôles genrés, sur le terrain même du féminisme. Il devient le sachant, et la femme, l’ingénue. Comble du paradoxe : il se place en position d’autorité en s’appropriant le discours critiquant précisément son complexe de supériorité.

Enjoindre à écouter les femmes

Le slogan « Il lit Mona Chollet mais jamais il ferme sa gueule » dénoncerait donc la figure du poseur, focalisé sur son propre discours. Le mansplainer tel que décrit par Solnit a « ce regard suffisant » typique des « hommes qui dissertent, les yeux fixés sur l’horizon flou et lointain de leur propre autorité ». L’attitude mise en cause ici est celle du solipsisme : une forme de fermeture à l’autre qui empêche tout véritable dialogue, dans la mesure où un seul des deux interlocuteurs s’exprime. Le mansplainer glose, explique, raconte, mais ne discute pas avec son interlocutrice. Il ne cherche pas à intégrer son expérience à son récit, ou à comprendre son témoignage.

Le message féministe inscrit sur la pancarte renvoie donc aussi à ce que la philosophe anglaise Miranda Fricker appelle « l’injustice testimoniale » (soit un exemple d’« injustice épistémique », concept plus général dans lequel elle intègre cette dernière). Celle-ci consiste à ignorer ou à dédaigner – consciemment ou non – les témoignages et l’expérience concrète des individus que l’on considère d’emblée comme « peu crédibles », du fait de leur genre mais aussi de leur couleur de peau ou de leur état de santé. « Le tort fondamental de l’injustice testimoniale est de saper le locuteur en tant que connaisseur », dénonce Fricker. Lorsqu’un homme explique le féminisme à une femme, sans chercher à écouter ce qu’elle a à dire sur le sujet, il commet cette forme d’injustice spécifique. Non seulement la femme ne peut pas expliciter ses connaissances sur le sujet, mais elle ne peut pas non plus décrire son expérience personnelle ou quotidienne. Elle est dépossédée de sa parole autant sur le plan théorique qu’au niveau pratique.

Quand une pancarte féministe regrette qu’un homme « ne ferme jamais sa gueule », elle cherche donc à dénoncer le bruit d’une parole trop sûre d’elle-même qui recouvre toutes les autres. Si les termes peuvent paraître abrupts, si ce n’est déplacés, il ne faut sans doute pas les prendre comme une injonction définitive. Autrement dit, la pancarte n’exprime manifestement pas « ferme ta gueule pour toujours » mais plutôt « laisse parler les femmes ».

Dénoncer l’instrumentalisation

Cet écriteau peut également provenir d’un sentiment d’inquiétude et de colère face à une certaine manière d’instrumentaliser le féminisme. Loin d’être l’occasion d’une remise en question et d’une compréhension plus fine des rapports de domination genrée, les concepts féministes deviennent parfois un outil de légitimation des comportements misogynes, tantôt violent moralement ou physiquement. Par exemple, dans son dernier ouvrage Le Viol redéfini (Flammarion, coll. Climats, 2023), l’avocate et activiste américaine Catharine MacKinnon illustre comment le concept féministe de « consentement » – dont elle critique la pertinence juridique – est instrumentalisé par les agresseurs eux-mêmes, afin de nier la domination qu’ils ont pu exercer sur une femme dans le but d’obtenir un rapport sexuel. « Elle a dit oui » serait alors une manière de camoufler diverses formes de violence. Dans un registre moins tragique, des pratiques comme le polyamour, théorisées par les féministes, ont pu être récupérées par certains hommes pour justifier leur infidélité.

Cette instrumentalisation du féminisme peut prendre des formes moins radicales mais plus pernicieuses. Dans un article intitulé « L’engagement féministe des hommes, entre contestation et reproduction du genre », le sociologue du genre Alban Jacquemart montre comment certains hommes militants dans des groupes féministes ont pu prendre de plus en plus de place au sein des luttes. Au sein de l’association Mix-Cité militant pour l’égalité des sexes (dissoute en 2013), qui a servi de terrain d’étude, ils occupaient les positions hiérarchiques les plus hautes et étaient proportionnellement plus interrogés par les médias. Cet exemple montre que les hommes qui s’intéressent au féminisme jouissent parfois d’une récompense symbolique et économique beaucoup plus forte que les femmes. On peut donc avoir l’impression qu’il suffit d’avoir lu un livre de Chollet pour être présenté comme un féministe accompli et crédible, tandis que certaines universitaires et militantes féminines s’échinent dans l’ombre à produire un travail considérable dans une relative invisibilité.

Les vrais alliés

Ce genre d’affichettes, telle celle vue à la manifestation, interroge finalement la figure des « faux alliés » des luttes féministes, qui intègrent ce courant pour des motifs opportunistes. Pour autant, il ne doit pas faire oublier qu’il existe de nombreuses bonnes raisons d’être un homme féministe. Dans son essai, Des Hommes justes (Le Seuil, 2019), l’historien Ivan Jablonka les dénombre : « Les liens d’affection », « l’empathie » et plus simplement, « la lutte pour les droits humains » peuvent motiver le militantisme masculin pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Le féminisme est un discours, qui dépasse largement le genre ou du sexe biologique de la personne qui le porte. Il y a des hommes féministes et des femmes non féministes. « Certains hommes luttent contre le patriarcat, alors que certaines femmes s’y sentent bien. La vraie ligne de partage n’oppose donc pas les femmes et les hommes (sur le mode opprimées/oppresseurs), mais les féministes et les non-féministes, autour d’un engagement », détaille Jablonka.

Il reste malgré tout à s’entendre sur la forme de l’engagement masculin. Un homme cherchant à soutenir la cause féministe peut le faire au départ avec des habitudes intériorisées, par exemple en faisant du bruit ou prenant de la place, sans pour autant avoir de mauvaises intentions. Ce genre d’attitudes s’inscrit dans un contexte de grand chambardement des normes sociales. Dans son livre Pourquoi l’amour fait mal (Le Seuil, 2012), la sociologue Eva Illouz rapporte le témoignage d’un homme expliquant que la gent masculine est aujourd’hui désorientée. « Nous n’avons tout simplement aucun indice nous permettant de savoir ce qui est attendu de nous. Je pense pouvoir dire que tous les hommes que je connais sont très intimidés par les femmes, par le fait de ne pas connaître les règles », formule-t-il. Illouz traduit ce sentiment en termes sociologique : « L’égalité engendre une angoisse sociale car elle crée de l’incertitude sur les règles d’interaction, ce qui réduit la spontanéité qui était historiquement le fruit des identités denses et des règles ritualisées ». Cette incertitude, présente à plusieurs échelles, existe aussi sur le terrain du militantisme féministe. Il y a encore aujourd’hui, semble-t-il, besoin d’un moment d’ajustement pour porter collectivement un combat qui ne reproduise pas en son sein les mécanismes qu’il dénonce.

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