Je t'aime

Martin Legros publié le 5 min

On ne décide pas d’être amoureux. Comme un éclair, l’amour nous foudroie et nous emporte là où nous n’avions pas décidé d’aller.

Et pourtant… à cet appel venu du dehors, à cet émoi qui bouleverse notre autarcie et branche nos pulsations sur celles d’un autre, notre participation active est requise. Pour exercer ses effets, l’amour a besoin de notre consentement. Pour se faire reconnaître par l’autre, il a besoin de notre énergie. C’est tout le sens de la déclaration à laquelle on ne prête pourtant pas assez attention. L’amour se déclare. L’amour se proclame. L’amour se déclame. Roméo et Cyrano sous leur balcon, Bérénice au sortir du couronnement de Titus, Werther et Charlotte se découvrant au bal de Wetzlar, Fabrice Del Dongo réfugié dans la prison de la tour Farnèse, Ugolin hurlant sur les hauteurs d’Aubagne, Ingrid Bergman menaçant Humphrey Bogart au Rick’s Café de Casablanca, Gainsbourg allant et venant entre les reins de Jane Birkin… Pour tous, ce sont d’abord « les mots qui font l’amour ». La formule par laquelle André Breton introduisait, il y a plus d’un siècle, le surréalisme mérite d’être prise à la lettre. Avant de s’accoupler entre eux, les mots accouplent les hommes entre eux. Sans l’alchimie du verbe, l’amour se réduirait à bien peu de chose : une attirance, une rencontre, une passade. Mais voilà que par la grâce de ces trois petits vocables, c’est un monde qui s’ouvre. « Dire je t’aime au lieu de dire je te désire, c’est se proposer une tâche infinie », affirmait Gilles Deleuze. Dans le même sens, Sartre évoque, dans La Responsabilité de l’écrivain, un passage de La Chartreuse de Parme, de Stendhal, où le comte Mosca, voyant s’éloigner la voiture qui emporte la Sanseverina et Fabrice, s’écrie : « Si le mot d’amour vient à être prononcé entre eux, je suis perdu. » Le penseur de la liberté en conclut que nommer, c’est faire exister. C’est accorder un pouvoir démiurgique à l’éloquence de la parole… et ne pas faire beaucoup de crédit à la musique du cœur. C’est consacrer les stratagèmes de Don Juan et oublier la passion de Tristan.

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