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Des manifestants défilent à Manhattan, à New York (États-Unis) le vendredi 19 juin 2020 contre le racisme et les violences policières. © Amr Alfiky/The New York Times/Redux/REA

Dossier / “La question woke”

La grande marche des éveillés

Cédric Enjalbert publié le 01 décembre 2022 14 min

Si, en France, le mot « woke » a vraiment surgi dans le débat public vers 2020, il est le fruit d’une étonnante histoire, agrégeant le mouvement des droits civiques afro-américains, l’influence de la déconstruction de Derrida et les études de genre. Par un étrange retournement, cette idée d’« éveil » serait-elle en train de se muer en une nouvelle forme d’autocensure ?

 

Faisons commencer l’histoire en 1896, avec la publication de The Awakening of the Negro (« Le Réveil du Nègre ») signé par Booker T. Washington. Après l’abolition de l’esclavage, cet ancien esclave devenu professeur et défenseur des droits des Afro-Américains invite à conquérir une liberté qui ne repose pas uniquement sur l’absence de servitude mais sur l’éveil de « toutes les facultés » en soi. Un mot d’ordre pour lequel il s’engage à donner sa vie afin de fournir le « genre d’opportunités d’autonomie et d’éveil à soi [self-awakening] » dont il a lui-même bénéficié grâce aux études. Pour ce faire, il fonde l’Université Tuskegee dans l’Alabama, avec l’ambition de former une élite afro-américaine. Booker T. Washington déploie un argument controversé : d’après lui, les Noirs parviendront à améliorer leur position en se rendant économiquement utiles aux Blancs. « Dans toutes les choses qui sont purement sociales », écrit-il, les « races » peuvent « être aussi séparées que les doigts, mais une comme la main dans toutes les choses essentielles au progrès mutuel ». Un accord dont il est l’instigateur – le « compromis d’Atlanta » – scelle cette concession au système ségrégationniste… qui suscite l’opposition !

“Si je lutte en tant que Nègre, ne suis-je pas en train de perpétuer le fossé qui menace et sépare l’Amérique noire et l’Amérique blanche ?”
W. E. B. Du Bois, historien et sociologue, 1897

 

L’historien et sociologue W. E. B. Du Bois réclame au contraire l’égalité complète. Tant qu’elle ne sera pas acquise, la condition noire sera condamnée à une « double conscience ». Il s’en explique en 1897 dans La Préservation des races : « Après tout, qui suis-je ? Suis-je un Américain ou suis-je un Nègre ? Puis-je être les deux ? Est-il de mon devoir de cesser d’être un Nègre aussi vite que possible pour être un Américain ? Si je lutte en tant que Nègre, ne suis-je pas en train de perpétuer le fossé qui menace et sépare l’Amérique noire et l’Amérique blanche ? » Cofondateur de l’Association nationale pour l’avancement des gens de couleur (National Association for the Advancement of Colored People, NAACP), W. E. B. Du Bois milite pour « la réalisation d’une humanité plus large qui reconnaisse librement les différences entre les hommes mais désapprouve sévèrement toute inégalité dans leurs possibilités de développement ». Cet équilibre délicat entre la reconnaissance des identités et l’universalité d’un projet politique humaniste n’est-il pas celui qui nous préoccupe encore aujourd’hui ?

 

Sortir du rêve américain

L’expression « woke », issue d’une déformation argotique, gagne en popularité au début du XXe siècle à mesure que le combat pour les droits civiques se structure. En 1938, le musicien de blues Leadbelly enregistre, par exemple, la chanson Scottsboro Boys, faisant le récit d’un procès expéditif contre neuf garçons afro-américains accusés de viol par un jury blanc : « Best stay woke, keep their eyes open » (« Le mieux, c’est de rester “éveillés”, de garder les yeux ouverts »). Quelques années plus tard, en 1943, le magazine américain The Atlantic publie un article du professeur J. Saunders Redding – « A Negro Speaks for His People » (« Un Nègre parle pour son peuple ») – citant un mineur noir syndiqué : « Waking up is a damn sight harder than going to sleep, but we’ll stay woke up longer » (« Se réveiller est sacrément plus dur que de s’endormir, mais on restera éveillé plus longtemps »). L’éveil ne concerne alors plus seulement la question raciale, il acquiert une dimension sociopolitique d’inspiration marxiste, prenant « conscience de l’aspect de classe du problème racial ». Pour J. Saunders Redding, « l’homme blanc déprimé du Sud se réveille seulement pour découvrir que lui et le Nègre ont été drogués par la même potion mystique de haine, de lutte raciale, consistant à jouer le pauvre travailleur noir contre le pauvre travailleur blanc ». Prolétaires dans tout le pays, réveillez-vous !

En 1954, la victoire de la NAACP dans l’affaire Brown vs. Board of Education marque un tournant dans la lutte. Le 17 mai, la Cour suprême juge contraire à la Constitution la ségrégation dans les écoles publiques. Puis, en 1964, le Civil Rights Act met enfin un terme à toutes formes de discriminations reposant sur la race, la couleur, la religion, le sexe ou l’origine nationale. Dans un discours à l’université Oberlin (Ohio), l’année suivante, le pasteur Martin Luther King déclare : « Il n’y a rien de plus tragique que de dormir durant une révolution. Il est indéniable qu’une grande révolution se déroule dans notre monde aujourd’hui. C’est une révolution sociale, balayant l’ancien ordre colonialiste. Et dans notre propre nation, il balaie l’ancien ordre esclavagiste et de ségrégation raciale. […] Le grand défi auquel chaque diplômé est confronté aujourd’hui est de demeurer éveillé durant cette révolution sociale. »

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Article issu du dossier "La question woke" décembre 2022 Voir le dossier
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