Qu’est-ce que la “déconstruction” ?
Associée à la pensée désormais appelée « woke » et à la cancel culture, la « déconstruction » initiée par Jacques Derrida (1930-2004) se retrouve aujourd’hui au cœur des débats. Mais de quoi s’agit-il au juste ? Généalogie de ce concept, à l’occasion de notre dossier spécial consacré à la « déconstruction ».
La déconstruction est un mouvement dont le philosophe français Jacques Derrida a été la figure de proue, mais qui recouvre en réalité davantage une nébuleuse de penseurs, dont se revendiquent entre autres Jean-Luc Nancy, Philippe Lacoue-Labarthe et Bernard Stiegler – la chose est plus compliquée pour Michel Foucault et Gilles Deleuze, bien qu’ils soient souvent associés à ce mot. Le terme lui-même est présentée par Derrida comme une reprise, un peu décalée, du motif de la Destruktion développé par Martin Heidegger à partir des années 1920.
Le crépuscule de la métaphysique
Pour Heidegger, la tradition occidentale s’ouvre, chez les présocratiques, par une question : la question de l’être, qui interroge non pas les choses ou même ce que sont les choses (les étants), mais le fait qu’il y ait des choses. Mais cette question a été oubliée, selon lui : le destin de la philosophie est l’histoire de cet oubli qui culmine dans la métaphysique. L’homme n’a plus affaire, au soir de la métaphysique, qu’aux étants, aux rapports de causes et d’effets qui lient les étants les uns aux autres. Et cette ère métaphysique arrive au bout de ses possibilités, pour Heidegger : il faut désormais la « déconstruire », désobstruer l’histoire de la philosophie des couches d’interprétations successives, afin d’entendre à nouveau l’appel secret de l’être et de permettre un « nouveau commencement » de la pensée.
La Destruktion heideggerienne, si elle interroge longuement la tradition philosophique, se place donc dans l’horizon d’une rupture, d’un « saut », d’une sortie de la métaphysique. C’est la première grande différence avec la déconstruction initiée par Derrida. « Il a été clair dès le départ, au contraire, que la mise en question déconstructrice porte avec insistance sur et contre une telle mytho-radicologie fondamentale. […] On se trouve toujours dans la métaphysique du fait que nous sommes déjà dans un langage déterminé. Par conséquent, l’idée que nous pourrions sortir de la métaphysique m’a toujours semblé d’une très grande naïveté », écrit le penseur français dans la revue Les Temps Modernes.
La « déconstruction » est une notion philosophique qui fait l’objet de vifs débats, à la fois dans le monde universitaire et militant,…
Dans notre revue de presse du 4 février, une question : faut-il jeter l’anathème sur les « déconstructeurs » ? La question…
Qu’est-ce que le langage ? Objet de la linguistique, le langage peut d’abord être étudié comme un système de signes qui associe des mots (puisés dans un lexique) selon des règles grammaticales précises (établies par une syntaxe). On s…
« Déconstruction » est un mot qui doit à la longue disparaître, c’est ce que pensait et souhaitait Derrida comme on peut le lire dans sa Lettre à un ami japonais. Il n’en a rien été jusqu’ici, comme nous le savons, et ce terme, qui…
Le troisième volume des « cahiers noirs » de Martin Heidegger paraît aujourd’hui. Dans ces cahiers XII à XV, on découvre un penseur…
Vendredi 7 et samedi 8 janvier a eu lieu à la Sorbonne un colloque intitulé « Après la déconstruction : reconstruire les sciences et la…
Le phénoménologue Jacques Taminiaux retrace le parcours intellectuel de la philosophe qui, d’abord fascinée par la force et l’originalité de la pensée de Heidegger, s’en est écartée avant de la réfuter, élaborant une pensée qui s’y…
Nous assistons à une racialisation du monde, observe Alain Policar dans son dernier livre L’Inquiétante Familiarité de la race (Le Bord de l’eau)…