L'abaya, un vêtement culturel ou cultuel ?

Les débats vont bon train concernant une possible recrudescence des « atteintes à la laïcité » dans les établissements scolaires. Au centre des polémiques, les abayas, de longues robes dont on ne parvient à déterminer clairement si elles constituent ou non un vêtement cultuel, qui tomberaient donc sous le coup de la loi de 2004 sur les signes religieux à l’école. Allons y voir de plus près.

L’abaya est-elle un vêtement culturel ou cultuel ? Et cette question a-t-elle un sens ? C’est la grande interrogation du moment, depuis que plusieurs collèges et lycées ont constaté que de plus en plus de jeunes filles se présentent vêtues de ces longues et amples robes couvrant l’ensemble du corps, à l’exception du visage et des mains. Que faut-il faire ? Leur demander de les retirer au nom de la loi de 2004 ? Mais est-on bien sûr que cet habit traditionnel bédouin, porté à l’origine dans le désert pour se protéger des conditions climatiques extrêmes et antérieur à la naissance de l’islam, est un habit religieux ? Le Conseil français du culte musulman a pour sa part tranché : l’abaya « n’est pas un signe religieux en soi ». Un avis partagé par la Fondation pour l’islam de France, qui avait exprimé un avis du même ordre en octobre 2022.

Un voile soft ?

Seulement voilà, les choses ne sont pas si simples. Car même si le vêtement est apparemment antérieur à la naissance de l’islam, le fait est qu’il est majoritairement porté dans des pays musulmans – à commencer par l’Arabie saoudite, où son port est obligatoire pour les femmes dans l’espace public, en lien avec la charia qui régit le pays. S’il est à l’évidence un vêtement culturel, qui rappelle le Moyen-Orient, se pose en filigrane la question de savoir comment distinguer une culture d’une religion qui a massivement contribué à façonner cette même culture. Pour le ministre de l’Éducation nationale Pap Ndiaye, les abayas sont en tout cas « clairement concernées par la circulaire du 9 novembre 2022 » relative aux atteintes à la laïcité dans les milieux scolaires. Pourtant, il y a quelques jours, devant une polémique grandissante, le ministre a botté en touche en refusant d’émettre un avis tranché sur la nécessité d’interdire ou non les abayas, et en enjoignant aux chefs d’établissement d’apprécier eux-mêmes, au cas par cas, les motivations des élèves concernés. Une situation qui n’est pas sans rappeler l’affaire des foulards de Creil, en 1989, durant laquelle Lionel Jospin n’avait pas non plus eu de directive claire, conduisant à des hésitations et atermoiements durant près de quinze ans, jusqu’à la fameuse loi de 2004 prononçant l’interdiction des signes religieux ostensibles. Y aurait-il, avec les abayas, une volonté de contourner cette loi en jouant sur le flou juridique qui l’entoure pour l’instant, avec finalement une sorte de « voile soft », ou un substitut à celui-ci ?