Le match du siècle

Michel Eltchaninoff publié le 6 min

L’intelligence artificielle, notamment grâce à sa faculté à apprendre d’elle-même, n’est pas loin d’égaler, voire de mettre KO l’intelligence naturelle, la nôtre. Faut-il craindre cette évolution, voulue et mise en œuvre par l’homme ?

« Une machine ne pourra jamais faire ça ! » Comment pourrait-elle démontrer, prédire, juger, inventer, s’adapter, réfléchir, méditer, comprendre, interpréter aussi bien que nous ? Car notre intelligence n’est pas celle d’une machine à calculer, aussi perfectionnée soit-elle. Elle provient de ce que nos ancêtres grecs appelaient la métis, cette faculté qui permet à Ulysse de sortir des mauvais pas, de feindre, ruser, tromper, dissimuler, réagir avec vivacité, ou encore avoir du flair. Hélas ! lorsque nous sommes un peu plus précis et affirmons qu’une machine ne pourra jamais faire ceci ou cela, nous risquons d’être entendus par un malin, un chercheur en intelligence artificielle (IA) qui, l’air de rien, prendra notre dédain pour un défi personnel. Et quelques années plus tard, le petit génie nous présentera sa dernière invention : une machine qui sait… faire ceci, ou cela, ou les deux. Prenons quelques exemples de cette course-poursuite entre l’intelligence naturelle et l’IA.

 

Les IA ne savent que calculer, pensons-nous parfois, alors que l’intelligence naturelle se déploie dans bien d’autres directions : linguistique, artistique, spatiale, kinesthésique, interpersonnelle, intrapersonnelle, etc. Des psychologues américains comme Howard Gardner (Les Formes de l’intelligence, 1983 ; trad. fr. Odile Jacob, 2010) ou Daniel Goleman (L’Intelligence émotionnelle, 1995 ; trad. fr. Robert Laffont, 1999) viennent à la rescousse des humanistes pour démontrer que la faculté de résoudre des problèmes logico-mathématiques ne suffit pas pour être intelligent. Le philosophe américain John Searle a montré dans les années 1980, avec son test de la « chambre chinoise », qu’un sujet humain peut répondre à des questions en chinois grâce à des correspondances entre mots chinois et anglais, mais qu’il ne comprend pas un mot de la langue que, pourtant, il utilise. Les IA seraient donc uniquement de gigantesques machines à calculer. Or la « raison calculante », pour citer Martin Heidegger, est loin d’exprimer la substance de la pensée et de l’intelligence humaines. Certes, elle a permis des progrès technologiques stupéfiants. Mais, instrumentale et sans conscience, elle manque l’accès à des vérités plus essentielles. 

Expresso : les parcours interactifs
Comment résister à la paraphrase ?
« Éviter la paraphrase » : combien de fois avez-vous lu ou entendu cette phrase en cours de philo ? Sauf que ça ne s’improvise pas : encore faut-il apprendre à la reconnaître, à comprendre pourquoi elle apparaît et comment y résister ! 
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