“Métro !” : le grand pari

C’est le plus vaste chantier en Europe. Avec le Grand Paris Express, qui prévoit la création de quatre nouvelles lignes de métro et de soixante-huit gares reliant la capitale et sa banlieue, le quotidien de douze millions d’habitants s’apprête à être bouleversé… tout comme notre imaginaire de Paris. La Cité de l’architecture consacre une exposition à cette aventure entamée en 1900 avec l’inauguration du métropolitain, après que Londres et New York s’en sont dotés. Trois sections rythment le parcours. D’abord, une généalogie des travaux monumentaux qui aboutissent à la création du plus dense des réseaux mondiaux, composant avec les contraintes topographiques (comme la superposition de trois lignes à la station Opéra, dont une magnifique maquette montre la prouesse, ou le passage des rames sous la Seine). Ensuite, elle souligne la présence de ces transports en commun dans la littérature et le cinéma – Peur sur la ville d’Henri Verneuil en offre un exemple spectaculaire, quand Jean-Paul Belmondo déploie ses plus belles cascades sur le toit de la ligne 6, au viaduc de Bir-Hakeim. Enfin, la visite se termine avec la section la plus conséquente, dédiée à la gageure des travaux actuels en terme non seulement techniques mais d’urbanisme. Car, comme le rappelle le philosophe marxiste Henri Lefebvre dans La Production de l’espace, « l’espace social n’est pas une chose parmi les choses, un produit quelconque parmi les produits : il enveloppe les choses produites. Il résulte d’une suite et d’un ensemble d’opérations, et ne peut se réduire à un simple objet. Effet d’actions passées, il permet des actions, en suggère ou en interdit ». Se rencontrent ainsi dans ces lieux de mobilité ce qu’il nomme l’espace « conçu », ramassé dans des plans par les urbanistes et les architectes, et l’espace « perçu » empiriquement, celui qu’expérimentent les habitants dans leur « pratique spatiale ». De la rencontre entre ces deux mondes naît finalement l’espace « vécu », résultant du conflit entre la conception et la perception, et dont témoignent les représentations imaginaires. Des commandes ont d’ailleurs été passées à des artistes contemporains, travaillant en binôme avec les architectes sélectionnés, afin de donner une identité à chaque station – Eva Jospin a par exemple conçu la façade organique de la gare Hôpital-Bicêtre. Car tout l’enjeu consiste, selon Lefebvre, à ne pas s’arrêter à ces distinctions et à « restituer l’unité productive » de cette triple approche conçue, perçue, vécue, afin de faire droit à une ville réellement vivable. Un grand pari ?