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© Jérémy Pain / Collectif Singulier

Reportage

Ocupação Esperança. La favela féministe

Margot Hemmerich publié le 02 juillet 2019 15 min

Depuis six ans, dans cette favela brésilienne en banlieue de São Paulo, les femmes ont pris le pouvoir. Espaces de délibération non mixtes, exclusions des hommes les plus violents, autogestion… Avec des outils inspirés par l’anticapitalisme et la théologie de la libération, elles forgent un îlot de résistance au pouvoir autoritaire et misogyne du président Bolsonaro… tout en bousculant les repères du féminisme occidental.

Il est 17 heures, le soleil d’hiver décline sur la colline d’Osasco, grande ville de la banlieue sud-est de São Paulo. Irene Maestro, short en jeans et tee-shirt kaki, claque dans ses mains et se fraie un chemin au milieu de la foule. Comme chaque semaine, ceux qui vivent là se rassemblent au milieu du sentier menant en haut de la favela Ocupação Esperança. Entre les poteaux ficelés de câbles électriques, les piles de briques adossées aux baraquements en bois et en tôle ondulée, le public, ce soir, est essentiellement composé de femmes. Debout, elles font progressivement cercle autour de l’oratrice venue décliner l’ordre du jour de l’assemblée générale : organisation du quotidien, derniers échanges avec la mairie, collecte d’argent. Régulièrement, il faut hausser la voix et tendre l’oreille. En contrebas, la plus grande aire industrielle du Brésil bourdonne : des casses automobiles, des fabriques de plastique et des centres logistiques où transitent les matières premières – soja ou canne à sucre – jouxtent un gigantesque centre de maintenance d’hélicoptères.

Depuis six ans, Ocupação Esperança fonctionne en autogestion. Chaque décision est prise collégialement, de la coordination des cuisines collectives à la distribution de l’eau, en passant par le nettoyage des espaces publics et les cours de capoeira (un art martial) et d’espagnol (parlé dans tout le reste de l’Amérique latine) dispensés par des habitantes volontaires. Chaque nouvel échange avec les autorités est également discuté. Un accord tacite de la mairie permet en effet à 500 familles d’occuper illégalement un terrain vierge sans garantie d’avenir. Les premières sont arrivées en 2013, avec un but à court terme : mettre un toit au-dessus de sa tête dans une métropole où les loyers ont été multipliés par deux depuis 2007. 

 

Un espace de reconstruction

« Ici, je peux laisser traîner du matériel ou rentrer tard le soir sans jamais craindre qu’on ne me vole ni me sentir en danger »

Eliana, propriétaire d’une échoppe dans la favela

Face à la crise du logement, occuper un terrain est devenu monnaie courante au Brésil : 11,4 millions de personnes vivent aujourd’hui dans plus de 6 000 bidonvilles. Mais au sein d’Esperança, au-delà de la seule nécessité matérielle, c’est l’idéal d’une collectivité féministe qui a poussé de nombreuses femmes – dont beaucoup de mères célibataires – à venir bâtir leur maison côte à côte. Ensemble, elles ont construit un espace pour vivre librement et en sécurité. « Je suis arrivée il y a quatre ans et je dois remercier mes camarades, car c’est grâce au groupe et aux autres femmes que je me suis relevée de tout ce que j’ai vécu », fait remarquer Frederica. Souvent, les souvenirs d’une vie passée sont douloureux – entre les factures impayées et les hommes violents. Selon les données du gouvernement, cinq femmes sont battues par leur conjoint toutes les deux minutes, et une meurt toutes les quatre-vingt-dix minutes, faisant du Brésil le cinquième pays du monde où sont commis le plus de féminicides. Eliana, la trentaine, est fière de nous recevoir dans son échoppe au milieu de l’occupation. Sur la devanture colorée, des paquets de chips, quelques canettes de soda et de la cachaça (boisson brésilienne proche du rhum) bon marché. La jeune femme vend surtout des produits alimentaires de base mais compte bien étendre l’offre qu’elle propose sur ses étals. Elle s’est installée il y a un peu plus de deux ans, après une première expérience dans une autre favela autogérée. « Quand je me suis séparée de mon ex-mari, j’étais ruinée, j’étais seule, mais je suis restée et j’ai pu recommencer à zéro. Ici, je peux laisser traîner du matériel ou rentrer tard le soir sans jamais craindre qu’on ne me vole ni me sentir en danger. Cette communauté a beaucoup à apporter et à enseigner à d’autres, en particulier sur le plan de la solidarité et de l’égalité sociale. » Avec son magasin, Eliana est d’ailleurs devenue l’un des piliers de la favela. Mais elle n’est pas la seule. Qu’il s’agisse de la distribution de l’eau ou de la construction de leur maison, ce sont les femmes qui s’investissent partout et tiennent les postes clés pour organiser la vie commune de tous les habitants, hommes compris. 

La nuit tombe sur Ocupação Esperança. L’assemblée générale a pris fin, mais la population continue de discuter dehors. Les postes de radio posés en équilibre sur le rebord des murs ocre crachent eux aussi leurs mots à plein régime. Comme un bourdonnement incessant dans la favela, les musiques se mêlent aux aboiements et aux cris des enfants. Une fillette à vélo nous dévisage, tandis que quelques anciennes s’attablent autour d’un café. Elles évoquent ensemble leur prochaine réunion. Celle-ci se tiendra en petit comité ; à côté des assemblées ouvertes à tous, des réunions uniquement réservées aux femmes se tiennent une fois par semaine. « Nous les avons instituées dès le début, avec l’objectif d’évoquer toutes les difficultés que nous pouvons rencontrer en tant que femmes : des problèmes privés qui concernent nos couples à l’insécurité qu’on peut ressentir dans les rues. Mais nous parlons aussi de la place des femmes dans la lutte, du machisme dans la société comme au sein de la favela », développe Irene Maestro, figure militante de l’occupation. À 54 ans, Francisca da Silva Oliveira considère que ces rassemblements de femmes sont la clé de voûte de l’occupation : « Certains hommes pensent que leur femme leur appartient, qu’ils peuvent la dominer. Mais ça ne fonctionne pas comme ça ici. » En témoigne cette règle d’or : en cas de violences conjugales, les habitantes se retrouvent pour délibérer. L’homme peut participer seulement s’il y est convié, et, en ultime recours, il peut être exclu de la communauté. Une habitude qui a valu à l’occupation son surnom désormais emblématique de « favela des femmes ».

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