Parole d’agriculteur : “S’installer aujourd’hui, c’est le parcours du combattant !”

Pour Jean-Louis Raynaldy, éleveur de bovins dans l’Aveyron, si la colère des agriculteurs s’est un peu calmée, l’inquiétude pour l’avenir persiste. Il constate que, dans sa région, il est devenu très difficile de s’installer et que les vocations s’éteignent. Un témoignage doux-amer.

J’avais rencontré Jean-Louis Raynaldy il y a douze ans, dans le hameau de Conquettes, situé au nord de l’Aveyron. Fils d’agriculteur, il élevait quatre-vingts vaches et soixante génisses qui donnaient un lait de qualité servant à la fabrication des fromages et des aligots de la coopérative voisine. Il avait alors évoqué les contraintes qui pesaient sur son activité. Difficulté de prendre des vacances lorsqu’il faut traire tous les jours et que l’on a à faire face à des complications administratives et autres charges financières et matérielles. Plutôt pessimiste, il m’avait confié alors : « Il n’y aura pas grand-chose dans la région dans trente ans si ça dure ».

Et aujourd’hui ? S’il s’est un peu éloigné de l’activité quotidienne de la ferme pour devenir maire du bourg voisin du Nayrac, il a une vision plus vaste des problèmes que rencontrent les agriculteurs du coin. Jean-Louis Raynaldy est tout sauf un radical. S’il affirme être contre les pesticides à titre personnel, il considère que « chacun fait comme il peut ». Il n’oublie pas la qualité de vie près de la nature, qui permet aux agriculteurs de « résister aux difficultés ». Il souligne que les éleveurs « sont animés par la passion, aiment leurs animaux, sont heureux de voir naître un veau et de l’élever, surtout en Aubrac ». Sans oublier la qualité des produits ! Il ne veut pas se plaindre. Il sait que de nombreux secteurs sont soumis à de graves difficultés et que les situations des agriculteurs sont très disparates. Mais son constat est sans appel : en trente ans dans l’élevage, sa condition ne s’est pas améliorée. Au contraire. La charge de travail est toujours aussi lourde : « Certes, on vit bien car on est à la campagne, mais les horaires sont toujours très élevés. Beaucoup d’heures, peu de vacances. » La dégradation touche plutôt les finances et les tâches administratives : « Le prix des carburants, de l’électricité, des intrants et des céréales pour nourrir les animaux a énormément augmenté. Du coup, le revenu des agriculteurs, lui, a beaucoup diminué. Pour continuer à faire tourner l’exploitation, les familles se privent. » Et « les produits ne sont pas vendus à leur juste prix, notamment à cause des centrales d’achat ». Non seulement on se prive de petits plaisirs, mais on sait que la retraite sera médiocre. Cela provoque un « stress supplémentaire ». 

En outre, des soucis nouveaux sont apparus, notamment le poids croissant de la « paperasse ». Si l’on veut changer une culture dans une parcelle, toucher à une haie, ou même creuser une rigole dans un pré, il faut demander une autorisation. En plus, « les règles changent pratiquement tous les ans ». La femme de Jean-Louis, Aline, ajoute : « Les dossiers sont parfois tellement complexes que nous payons une personne à la Chambre d’agriculture pour les remplir à notre place. C’est une usine à gaz ! » Et il y a les fortes chaleurs, comme celles de l’année dernière, qui ont provoqué des dégâts, ou encore les maladies des animaux qui augmentent. Ainsi, « même dans les filières bio, certains veulent arrêter ». Il regrette que, dans la région, « nous étions en train de nous orienter vers des produits de qualité. Mais comme cela coûte plus cher et que les consommateurs sont tout autant touchés par l’inflation, ils s’orientent vers des produits de gamme inférieure ». 

Ce qui semble torturer le plus Jean-Louis, finalement, c’est ce sentiment « d’inquiétude de l’avenir », notamment parce que les agriculteurs doivent emprunter de l’argent, sans l’assurance de pouvoir rembourser. En réalité, « à part dans des grosses exploitations, c’est très difficile de vivre convenablement de l’agriculture. Ce n’est même plus possible ». Il remarque, en tant que maire, que « les jeunes agriculteurs manquent de perspectives. Ils ont des craintes pour s’installer. Par exemple, un homme de ma commune veut s’installer pour élever des chevaux, car son épouse est psychomotricienne et a besoin de ces chevaux. Mais comme cet élevage n’entre pas dans la catégorie du revenu agricole, il voudrait planter des pommiers. Mais un pommier ne produit qu’au bout de cinq ans… Il se retrouve donc dans une situation impossible ». Lui qui est issu d’une lignée de paysans, il souffre de cette crise de vocations. Malgré les annonces du gouvernement et la solidarité persistante entre agriculteurs, leur crise existentielle, elle, est d’être terminée.