Aller au contenu principal
Menu du compte de l'utilisateur
    S’abonner Boutique Newsletters Se connecter
Navigation principale
  • Le fil
  • Archives
  • En kiosque
  • Dossiers
  • Philosophes
  • Lexique
  • Citations
  • EXPRESSO
  • Agenda
  • Masterclass
  • Bac philo
 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
rechercher
Rechercher

Simulation du projet de centre d'hébergement d'urgence dans le 16e arrondissement parisien © Moon Architectures

Logement

Patrick Declerck: “Vivre dans la rue est un sport de combat”

publié le 23 mars 2016 3 min
Le projet d’un centre d’hébergement d’urgence pour sans-abri déclenche la colère des habitants du 16e arrondissement de Paris. L’anthropologue et psychanalyste Patrick Declerck nous aide à comprendre ce qui est à l'œuvre dans la violence de ces réactions. Selon lui, ce sentiment de rejet s’adresse à un double monstrueux de nous-mêmes.[Actualisation: le centre d’hébergement d’urgence pour SDF, qui devait ouvrir en novembre, a été à nouveau incendié dans la nuit du 5 au 6 novembre 2016.]

La construction prochaine d’un centre d’hébergement, destiné à accueillir en priorité les personnes prises en charge par le Samu social, aux abords du bois de Boulogne, dans le 16e arrondissement de Paris déchaine la colère de certains riverains. Deux cents places pendant trois ans : le projet de la mairie de Paris demeure pourtant modeste alors que, selon l’Insee, 28800 personnes seraient sans domicile fixe dans l’agglomération parisienne. De quoi ce malaise est-il donc le nom ? L’anthropologue et philosophe Patrick Declerck, qui a notamment signé Les Naufragés. Avec les clochards de Paris (Plon, 2001) et Le Sang nouveau est arrivé. L’horreur SDF (Gallimard, 2005), identifie les ressorts d’une peur diffuse.

 

Comment comprendre la violence de la réaction des riverains du 16e arrondissement, à l’annonce de la construction d’un centre d’hébergement d’urgence?

Patrick Declerck: La violence des réactions démontre que nous ne supportons pas d’avoir près de nous des personnes qui risqueraient d’apparaître comme nos doubles, avec les mêmes besoins, la même logique, le même rapport au monde. L'un des facteurs fondamentaux de séparation de l’humanité est l’argent. Il est le théâtre parfait de la mise en scène de tous les fantasmes, tous les non-dits, toutes les agressions, toutes les violences. L’argent est un équivalent ontologiquement creux, ce n’est que du papier et du métal, mais symboliquement riche de bonheur. On le considère comme une protection contre la mort et l’effondrement de tout sens, ce qu’il n’est bien sûr pas. Il produit une existence sociale composée d’un malaise permanent, parce qu’elle est fausse. D’où la nécessité d’entretenir une distance maximale entre ce monde factice et fantasmatique de l’argent, et la réalité, la vraie. Cette dernière peut se résumer ainsi : Homo sapiens reste toujours Homo sapiens. On peut le regretter, et certains ne s’en privent visiblement pas; néanmoins, avec ou sans carte bancaire, avec ou sans Chanel, il est et reste toujours Homo sapiens. Voilà l’insupportable vérité.

 

De quoi a-t-on peur exactement ?

Au-delà de la crainte d’imaginer devoir perdre une fraction de ses avantages, de ses richesses, il y a la terreur d’une perte d’identité socio-économique. D’où la rage : on ne veut pas être confrontés à une image de l’humanité qui n’a rien à voir avec celle que l’on se fait de soi. Les habitants du 16e arrondissement ont bâti cet espace comme un château fort social marqué par une certaine fermeture cognitive, dans lequel une population s’illusionne de vivre protégée. C’est pourquoi l’optimisme me paraît impossible : l’idée d’une communauté générale de l’humanité solidaire est une pure illusion ontologico-métaphysique. C’est certes un idéal, mais l’histoire de l’humanité ne cesse d’en démontrer l’impossibilité.

 

Contre quoi s’agit-il de se protéger ?

Contre un homme au corps affaibli, abîmé. Vivre dans la rue est un sport de combat épuisant, je le sais, j’ai essayé. Il faut le rappeler : personne n’y vit par choix ou plaisir. Le spectacle de ces gens nous est odieux parce que nous les voyons en permanence ne rien faire. Ils semblent vivre dans une existence de plaisirs infinis tout en se moquant de nous. Alors que nous, bons citoyens, nous levons le matin, brossons nos dents, puis partons travailler, et vivons, en somme, dans le réel, ou dans ce qui nous semble tel. Que ces voyous de la rue subsistent, qu’ils survivent à côté de nous est obscène, se dit-on sans trop vraiment se l’avouer. Mais subtilement et inconsciemment, ils nous font aussi un peu rêver car, apparaissant sans contraintes, ils semblent être les héros du principe de plaisir. Sans travail, sans famille, ils sont débarrassés de toute responsabilité et semblent vivre dans une liberté infinie. De quoi faire rêver le bourgeois ! Mais personne n’a jamais choisi d’être à la rue, ces gens sont en réalité dans l’extrême de l’aliénation.

 

Vous n’employez pas seulement les termes « polis » de SDF ou de sans-abri, mais parlez dans vos ouvrages de « clochards », de « clodos » : pourquoi ?

J’ai voulu par là désigner une population désocialisée, physiquement et psychiquement atteinte et diminuée. Le mot « sans-abri » ne veut finalement rien dire. Un tremblement de terre provoque des sans-abri, si on bombarde une ville il y aura des sans-abri. « Sans domicile fixe » ne veut pas dire grand-chose non plus. Certains vivent les murs comme quelque chose de terriblement angoissant, il est donc nécessaire de bouger sans cesse pour réduire l’angoisse. Entourés de murs, il ne reste plus que soi dans un face-à-face que l’on ne peut plus éviter. Les notions de SDF ou de sans-abri ne décrivent rien de la complexité psychique et ontologique d’une situation affreuse.

Dernier ouvrage paru : Crâne (Gallimard, 2016)
Expresso : les parcours interactifs
Joie d’aimer, joie de vivre
À quoi bon l'amour, quand la bonne santé, la réussite professionnelle, et les plaisirs solitaires suffiraient à nous offrir une vie somme toute pas trop nulle ? Depuis le temps que nous foulons cette Terre, ne devrions nous pas mettre nos tendres inclinations au placard ?
Pas si vite nous dit Spinoza, dans cet éloge à la fois vibrant, joyeux et raisonné de l'amour en général.
Découvrir Tous les Expresso
Sur le même sujet
Article
10 min
Patrick Declerck : “En formation de sniper, j’étais à l’école de la raison pure”
Alexandre Lacroix 09 mai 2022

Psychanalyste et écrivain, Patrick Declerck s’intéresse aux sujets sensibles, qu’il tente de décrypter à travers des récits immersifs. Vie des SDF…

Patrick Declerck : “En formation de sniper, j’étais à l’école de la raison pure”

Article
10 min
Patrick Declerck. Le bruit et la tumeur
Alexandre Lacroix 28 mai 2015

Après avoir vécu neuf ans avec un cancer au cerveau, l’écrivain et psychanalyste Patrick Declerck a subi une opération chirurgicale à hauts…

Patrick Declerck. Le bruit et la tumeur

Article
12 min
Patrick Declerck. Tenir tête à la mort
Martin Legros 21 septembre 2012

Mourir, un horizon vague… sauf quand le temps est compté. Au diagnostic – tumeur au cerveau –, Patrick Declerck riposte : Nietzsche, Épicure et Sénèque. La philosophie permet de tenir debout, et l’auteur des Naufragés entreprend, grâce…


Article
5 min
Patrick Declerck : “Le terrain d’une lutte fondatrice”
Alexandre Lacroix 23 août 2012

Freud l’a montré : nous sommes élevés dans un chaudron pulsionnel. Si nul n’échappe à la crise œdipienne, rappelle Patrick Declerck, reste la possibilité de la traverser afin d’apprendre à dire “je”.


Article
2 min
La clochardisation : un “exil” sans retour ?
Cédric Enjalbert 01 mars 2018

Le nombre de “sans domicile fixe” (SDF) avoisinerait 3000 à Paris, selon une récente recension. Faut-il vraiment chercher à les “resocialiser” ?…

La pauvreté en France ne faiblit pas

Bac philo
2 min
La société
Nicolas Tenaillon 01 août 2012

La société désigne un ensemble d’individus reliés entre eux par une culture et une histoire. Il est donc abusif de parler de sociétés animales qui ne se perpétuent que par hérédité – non par héritage –, mais pertinent de parler de…


Article
4 min
La pauvreté en France ne faiblit pas
Cédric Enjalbert 22 novembre 2016

Dans son 35e rapport sur “l’état de la pauvreté en France”, publié jeudi 17 novembre 2016, le Secours catholique montre que le “besoin d’écoute”…

La pauvreté en France ne faiblit pas

Article
7 min
Patrick Artus : “L’inflation résulte d’un conflit pour la répartition des revenus”
Nicolas Gastineau 08 février 2022

L’année 2022 sera-t-elle inflationniste ? C’est du moins ce qu’indiquent les chiffres du mois de janvier, avec 2,9% de hausse sur un an en…

Patrick Artus : “L’inflation résulte d’un conflit pour la répartition des revenus”

À Lire aussi
Le scandale de l’inégalité
Par Michel Eltchaninoff
septembre 2012
Olivier Haralambon : “La philosophie m’a sauvé la vie”
Olivier Haralambon : “Le cyclisme a historiquement été un sport catholique mais il est en passe de devenir un sport protestant”
Par Nicolas Gastineau
juillet 2021
Les voyageurs du vide
Les voyageurs du vide
Par Cédric Enjalbert
août 2019
  1. Accueil-Le Fil
  2. Articles
  3. Patrick Declerck: “Vivre dans la rue est un sport de combat”
Philosophie magazine n°178 - mars 2024
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Avril 2024 Philosophe magazine 178
Lire en ligne
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Réseaux sociaux
  • Facebook
  • Instagram
  • Instagram bac philo
  • Linkedin
  • Twitter
Liens utiles
  • À propos
  • Contact
  • Éditions
  • Publicité
  • L’agenda
  • Crédits
  • CGU/CGV
  • Mentions légales
  • Confidentialité
  • Questions fréquentes, FAQ
À lire
Bernard Friot : “Devoir attendre 60 ans pour être libre, c’est dramatique”
Fonds marins : un monde océanique menacé par les logiques terrestres ?
“L’enfer, c’est les autres” : la citation de Sartre commentée
Magazine
  • Tous les articles
  • Articles du fil
  • Bac philo
  • Entretiens
  • Dialogues
  • Contributeurs
  • Livres
  • 10 livres pour...
  • Journalistes
  • Votre avis nous intéresse