“Préhistomania” : et si l’art rupestre imitait la peinture moderne ?
L’exposition Préhistomania qui vient d’ouvrir au musée de l’Homme présente des reproductions de grottes ornées issues du monde entier. Elle montre comment l’art pariétal a gagné ses lettres de noblesse il y a un siècle… et avec lui, les reproductions dessinées ayant permis de le faire connaître.
Après Arts et Préhistoire et Picasso et la Préhistoire, le musée de l’Homme clôt son cycle consacré à l’art préhistorique avec Préhistomania, une exposition qui met en lumière la naissance d’une passion à la fois scientifique et esthétique pour l’art pariétal, au tournant du XXe siècle. Alors que l’engouement archéologique pour l’Égypte tarit progressivement, des explorateurs, ethnologues et dessinateurs sillonnent les cinq continents à la recherche de peintures et de gravures inscrites par nos ancêtres sur des parois rocheuses souvent difficiles d’accès.
Tour du monde pariétal
Le corpus proposé au spectateur s’intéresse ainsi aux « relevés » de ces peintures rupestres, des dessins réalisés par des équipes de chercheurs-aventuriers à partir de calques effectués à même la pierre – en l’absence de photos couleur, la copie dessinée est la seule façon de restituer l’apparence globale des peintures. Le corpus de Préhistomania mêle des relevés provenant de la collection Frobenius, ethnologue allemand passionné par l’Afrique dont les équipes ont fourni certains des plus beaux dessins de l’époque, et d’autres issus des collections du musée de l’Homme, comptant pour les expéditions de Henri Lhote ou encore de l’abbé Breuil – célèbre pour avoir mis au jour la grotte de Lascaux.
En une centaine d’œuvres et de documents (photos des expéditions, outils de travail…), le visiteur effectue un voyage passionnant sur les parois du monde entier. Si l’on connaît surtout les chevaux de Lascaux ou l’ours de la grotte Chauvet, un bestiaire rarement vu en France s’offre à nous : élans de Norvège, girafes d’Algérie, termitières du Zimbabwe... La plus belle reproduction, vieille de près d’un siècle, est sans doute celle d’une paroi découverte en Papouasie-Nouvelle-Guinée : large de cinq mètres, elle figure une farandole de « mains négatives » et « pieds négatifs », empreintes obtenues par technique du pochoir, fondues ici dans des motifs animaliers et abstraits d’une grande finesse.
Quête des origines de l’art
Née à la fin du XIXe siècle, cette passion pour l’art pariétal vit un point d’incandescence dans les années 1930, avec la présentation de la collection Frobenius au musée d’Art moderne de de New York (Moma) en 1937. À l’époque, de nombreux artistes d’avant-garde voient dans l’art rupestre non seulement une source d’inspiration, comme en témoignent les œuvres aux relents primitifs de Klee ou Arp exposées au musée de l’Homme, mais peut-être la quintessence de l’art même. Joan Miró ne déclarait-il pas vouloir « assassiner la peinture », qu’il jugeait « en décadence depuis l’âge des cavernes » ?
La déambulation vaut ainsi à double titre. D’abord, pour son aspect pédagogique : on comprend mieux comment les savoirs en matière d’art préhistorique se sont construits, de quelle manière ils ont circulé et comment ils se sont également perfectionnés au fil des décennies, grâce à de nouveaux instruments. Le parcours laisse aussi de l’espace pour la divagation de l’esprit et les rapprochements subjectifs : face à cet élan norvégien, ne voit-on pas déjà un tableau de Dubuffet ? Ces personnages longilignes découverts au Lesotho, n’auraient-ils pas quelque chose en commun avec les silhouettes en allumette de Giacometti ? Et que dire de cette tête de taureau du site algérien de Tin Tazarift, semblant tout droit sortie d’une œuvre de Picasso ?
Les relevés, des œuvres d’art à part entière ?
La question est finalement de savoir quel statut accorder à ces relevés. S’il s’agit de documents scientifiques, permettant d’établir une cartographie mondiale – quoique non exhaustive – de l’art rupestre, il semble réducteur de les cantonner aux laboratoires de recherche ou aux archives. Nombre de releveurs et releveuses étaient en effet eux-mêmes des artistes, à l’image d’Albert Hahn, artisan et peintre à qui l’on doit la reproduction de la fresque de Papouasie-Nouvelle-Guinée. Pour autant, une copie d’œuvre, aussi belle et sensible soit-elle, peut-elle être qualifiée d’œuvre en elle-même ?
L’équipe de conservateurs à l’origine de l’exposition adopte en tout cas cette approche. « Nous présentons ces relevés comme de l’art moderne, témoignage visuel de l’histoire de l’humanité », assure Egidia Souto, maître de conférences en littérature et histoire de l’art de l’Afrique à Sorbonne-Nouvelle. Cette reconnaissance est d’autant plus permise que les relevés ne sont en réalité jamais des copies parfaites des œuvres premières. Elles s’en éloignent toujours un peu, que ce soit par la couleur, l’épaisseur du trait ou le relief. C’est dans l’acceptation de cette imperfection scientifique, et dans l’écart entre le modèle et sa reproduction, que s’ouvre la possibilité de l’art. Ces relevés deviennent alors des œuvres à part, aussi belles qu’émouvantes, capables de restituer la puissance de l’art pariétal tout en irradiant de leur facture singulière.
L’exposition Préhistomania court au musée de l’Homme, à Paris, jusqu’au 20 mai 2024. Pour plus d’informations et retrouver la billetterie en ligne, rendez-vous sur le site officiel du musée.
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