Regard

Trois faits d’actualité commentés par Alain Bentolila

Nicolas Truong publié le 4 min

Identité nationale, violence urbaine ou réflexion sur la langue française… Ce linguiste réputé combat l’insécurité linguistique qui entraîne une insécurité sociale.

Société : 27 mars / Émeute à la gare du Nord

Un homme sans titre de transport saute un portique de métro et se fait interpeller par la police. Illégal, l’incident est aussi assez banal. Comment un acte aussi courant a-t-il pu entraîner une telle insurrection ? Comment un incident aussi minime tourne-t-il à la guérilla urbaine ? Sans doute parce que la parole n’a pas eu son espace d’expression. Comment s’est-on adressé à cet homme qui fraudait ? Lui a-t-on laissé la possibilité d’expliquer son geste ? Même si c’est pour mentir, n’importe quel citoyen doit avoir un espace de parole pour justifier son acte. Quelques secondes suffisent, même si l’issue – l’amende, notamment – est connue d’avance. C’est la négation de l’espace de la parole qui fait que l’altercation part en vrille. Nos policiers, comme nos jeunes – ce sont les mêmes –, ne sont pas élevés dans la nécessité de s’ouvrir à la parole de l’autre. « Je te parle et tu m’écoutes » : voilà le b.a.-ba de la reconnaissance. Lorsque cette barrière fragile que constitue le langage est battue, la barbarie reprend le dessus. À cet égard, l’expression « Comment tu me parles ? » est éclairante. Elle témoigne de la volonté d’un sujet d’entendre une parole humaine de la part de son interlocuteur. Dans cette affaire de la gare du Nord, deux barbaries se sont fait face. Jeunes policiers et fraudeurs des stations populaires se trouvent pratiquement dans le même état d’insécurité linguistique. Ils ne savent plus ce que parler veut dire. Parler, cela consiste d’abord à s’adresser à ceux que l’on n’aime pas et non pas d’abord à rester dans l’entre-soi de la communication du groupe des pairs. Or nous vivons dans une société au sein de laquelle les groupes se replient sur eux-mêmes, avec leur propre code, langue et comportement. Certains sites qui comptent des millions d’abonnés en France proposent aux internautes de rencontrer leurs semblables, à l’aide d’un questionnaire en forme de sondage sur les goûts et les couleurs en matière sexuelle ou culinaire. À nous de casser les ghettos sociaux pour casser les ghettos linguistiques. Aux familles de rejouer leur rôle social d’accueil des autres. Sinon, afin de tempérer les échanges entre contrôleurs et usagers, même en situation illégale, instaurons les 20 secondes de silence lors desquelles les passagers pourraient se justifier .

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