“The Underground Railroad”. Sur les rails de l’histoire

« Devons-nous nous rappeler les horreurs de l’esclavage américain ? Est-il éthiquement ou moralement juste de le faire ? Et si oui, pourquoi ? » Ces questions ont guidé le cinéaste Barry Jenkins (réalisateur de Moonlight en 2016) dans la conception de la série The Underground Railroad. Adaptée d’un roman de Colson Whitehead, lauréat des plus grands prix littéraires américains, elle retrace en dix épisodes haletants la fuite de la jeune esclave Cora Randall (interprétée par Thuso Mbedu, photo, à droite) d’une plantation de coton en Géorgie, son voyage à travers la Caroline du Sud, le Tennessee et l’Indiana, et sa traque par l’impitoyable chasseur de primes Arnold Ridgeway (Joel Edgerton). Le réseau ferré clandestin dont il est question dans le titre a existé, mais de façon métaphorique. Il s’agissait d’une organisation secrète mise en place au début du XIX^e siècle qui permit à des milliers d’esclaves d’échapper à leur condition grâce à l’aide des abolitionnistes. Ce réseau se servait du lexique ferroviaire comme d’un code. Il évoquait des cargaisons, des dépôts et des stations, des conducteurs de train et des chefs de gare. Ils traçaient un chemin de liberté vers le Nord. Toute la beauté du récit est de matérialiser cette organisation en imaginant de véritables galeries souterraines, dont la découverte est l’un des ressorts dramatiques de la série. Barry Jenkins, après Colson Whitehead, cartographie ainsi cet impensé, faisant de l’histoire une géographie. Il convoque les mythes américains, cherchant à composer entre « le besoin de dire la vérité sans être dévoré par sa barbarie ». La beauté des images, la qualité du jeu et la richesse de la dramaturgie contribuent à cet équilibre délicat. En filmant ce chemin de fer mythique, la fresque décrit la brutalité de l’histoire et dissipe le rêve américain. Car, comme le montre l’Américain Ta-Nehisi Coates, auteur de l’essai Une colère noire (trad. fr. Autrement, 2016), ce rêve symbolise en effet une prospérité fondée sur l’héritage de l’esclavage, mais aussi une forme de sommeil, « un état intentionnel d’incon­science », une « part d’oubli » utile sur laquelle reposerait l’Amérique et qui préserverait sa « croyance dans sa propre innocence ». Une Amérique en train de se réveiller ?