Une approche philosophique du Grand Paris

Un projet d’aménagement peut-il aider à réparer « les plaies » d’un territoire ? Peut-il être l’occasion de réinterroger notre rapport à un espace qui nous est cher ? Pour le savoir, Philosophie magazine a interrogé l’architecte Marc Mimram, spécialiste des ouvrages d’arts et impliqué dans ce projet.

C’est un projet à plusieurs milliards d’euros qui doit relier Paris à sa banlieue. Le chantier du Grand Paris est le plus grand projet d’aménagement national entrepris actuellement en Europe, avec la construction et le prolongement de plusieurs lignes de métro hors de Paris, mais aussi la construction de nombreux ensembles architecturaux et de bâtiments.

Au-delà des mètres cubes de béton que ce projet va générer, peut-on aborder le Grand Paris et ce qu’il représente d’une façon philosophique ? Pour le savoir, nous avons interrogé Marc Mimram, ingénieur et architecte français qui est l’auteur de plusieurs ouvrages de renom en France et à l’étranger et qui réalise actuellement le franchissement Pleyel, un pont bâti à Saint-Denis (en Île-de-France), pour le compte de la communauté urbaine de la Plaine commune. Il en commente certains projets emblématiques et explique sa vision, personnelle et résolument attachée au territoire et à son identité, du « Grand Paris ».

Les Magasins généraux à Pantin (93), le 26 novembre 2019. © Cyril Zannettacci/Agence VU

Le Grand Paris : de quoi parle-t-on ?

« Que cherche-t-on avec ce projet d’aménagement qui s’étale sur 130 communes et qui concerne près de 7 millions d’habitants, au-delà de simplement reproduire la ville du XIX^e, derrière les façades néo-haussmanniennes ? Au fond, existe-t-il une identité du Grand Paris ? Quand je parle d’identité, je ne parle pas d’une forme d’uniformisation, mais d’un partage, d’une manière d’être en relation avec le territoire, d’y vivre et de s’y identifier.

Pour y parvenir, pour faire identité, il faut un patrimoine commun. La géographie est ce patrimoine. Celle-ci peut s’appuyer sur le caractère naturel du paysage, comme la topographie. Une route bordée de platanes, un canal, une vallée sont autant d’éléments constitutifs du territoire. Autant de “traces” qui forgent l’identité d’un lieu. Pourtant, des communes comme Sevran ou Clichy-sous-Bois (toutes deux dans le 93), qui sont potentiellement magnifiques dans leur relation à la géographie, sont délaissées socialement aujourd’hui. Il faut reconnaître ces spécificités : relier Aulnay, Sevran, autour du canal de l’Ourcq, reconnaître la dimension paysagère à grande échelle, entre le parc du Sausset, celui de la Poudrerie et la forêt de Bondy. Il faut reconquérir les populations délaissées. Je pense également à une commune comme Arcueil (94), traversée par les acqueducs de la Vanne et du Loing qui ont été construits au XIX^e siècle et qui alimentent en eau Paris, ou encore à la route qui menait jadis à la basilique Saint-Denis où sont enterrés les rois de France et dont on a perdu la trace. Comment avons-nous pu occulter cette histoire, en faire table rase ?