Hors-série "Le mal"

Victimes coupables : la double peine

publié le 6 min

Dans des situations extrêmes, face à un bourreau ou à un violeur, il arrive que les victimes se sentent coupables d’avoir « pactisé » avec leur ennemi. En prenant au sérieux leurs témoignages, le philosophe belge Jean-Michel Chaumont, auteur de Survivre à tout prix ? (La Découverte), propose de nouveaux outils moraux et politiques pour se soustraire à cette logique délétère.

Comment expliquer qu’on puisse parfois se sentir coupable du mal que l’on subit ?

Jean-Michel Chaumont  J’ai mené mes dernières recherches sur trois « théâtres d’opération » : celui des communistes belges arrêtés, torturés et déportés par la Gestapo pendant la guerre… et jugés par leurs pairs à leur retour  ; celui des Juifs membres des Sonderkommandos forcés de participer à l’exécution de la Solution finale dans les camps et qui furent également jugés par les leurs, ne fût-ce qu’implicitement dans la question récurrente : comment ont-ils pu ? Enfin, celui des femmes violées d’hier et d’aujourd’hui. En me penchant sur leurs témoignages, j’ai découvert que ces personnes avaient souvent le sentiment d’avoir « pactisé avec le diable ». À leur place, nous aurions presque certainement fait pareil. Et qui sommes-nous pour juger ? Mais nous ne pouvons pas tenir pour négligeable leur propre jugement. Les vrais coupables restent les bourreaux, les tortionnaires ou les violeurs. Et les victimes se trouvent dans des situations de contrainte extrême. Malgré cela, elles tendent à considérer rétrospectivement que subsistait pour elles une marge de manœuvre qui aurait pu les inciter à résister à leur agresseur.

 

Ces victimes se sentent souillées…

« Je me suis sali », « je me suis couché » : ces métaphores appartiennent au registre de l’honneur. Lorsque sous la torture, on donne le nom de son camarade, on se considère comme un traître, en dépit des circonstances. D’autant que certains n’ont pas parlé, qui fixent la norme. On aurait voulu être comme eux mais on a causé la perte d’autres camarades. Voilà les tourments qui affligent nombre de survivants.

Expresso : les parcours interactifs
Comme d'habitude...
On considère parfois que le temps est un principe corrosif qui abîme les relations amoureuses. Mais selon le philosophe américain Stanley Cavell l'épreuve du quotidien peut être au coeur d'un principe éthique : le perfectionnisme moral, qui permet à chacun de s'améliorer au sein de sa relation amoureuse.
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