Architecture & Dignité

Une recension de Martin Legros, publié le

Pourquoi ressentons-nous une émotion jamais éteinte devant le temple grec ? Qu’est-ce qui s’est mis en place dans cette alliance d’un espace religieux abritant la statue d’un dieu et d’un espace géométrique finement proportionné pour que nous fassions encore l’expérience de l’ouverture et du déploiement de l’espace lui-même ? Il s’est mis en place, répond l’architecte et philosophe Karim Basbous, plus qu’une œuvre particulière fondant une tradition, une véritable institution qui a donné à l’architecture son sens et son fondement. Partant de cette institution, on peut parcourir toute l’histoire de cet art, en suivant le sillon qu’elle a creusé, en Grèce d’abord, puis dans tout l’Occident, des palais et maisons romaines ou des basiliques chrétiennes aux réalisations des architectes les plus contemporains. Une forme nouvelle a surgi dans la manière dont les hommes habitent l’espace, qui transcende la fonction utilitaire et protectrice des bâtiments et revêt une portée éthique et politique. D’où l’idée originale que l’architecture a un lien avec la dignité au sens que lui donnait Cicéron. À la différence des bâtiments égyptiens, refermés sur le secret de leur propre sacralité, le temple se tourne vers l’espace des hommes et expose au regard, telle une figure humaine, une proposition pour organiser leur circulation et unifier la communauté. De ce point de vue, l’architecture a une fonction symbolique : « Le bâtiment n’est pas tant ce qui nous protège, que ce que l’on protège […], le temple protège ceux qui sont rassemblés pour le protéger. Les hommes et la pierre s’entretiennent. » L’hypothèse stimulante de Basbous est que le geste architectural initial, dont le temple grec était porteur, a suivi une série de « transferts de dignité », comme lorsque les Modernes inventent avec Michel-Ange la « maison du projet » dans laquelle l’architecte est appelé à « jouer » avec les volumes pour donner une forme originale à l’espace. C’est en revenant à l’idée de sa propre dignité que l’architecture contemporaine pourra « revenir dans le concert des grandes puissances instituantes ». On aimerait partager son espoir.

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