Brutalisme

Une recension de Catherine Portevin, publié le

C’est dans le béton brut des tours urbaines des années 1950-1970 qu’Achille Mbembe a forgé le concept pour caractériser la brutalité politique spécifique à notre temps. Au brutalisme architectural, qui célébrait le pouvoir de la matière et du fonctionnel, répond le mouvement de « démolition et de dévitalisation » qui s’exerce aujourd’hui sur les imaginaires, les corps, les objets… et l’ensemble du vivant. Soumis au règne de la raison économique, computationnelle et biologique, le XXIe siècle transforme l’humanité en matière, en énergie et, finalement, en déchet, tandis que la machine ou l’objet prennent vie : brutalisme et animisme vont ainsi de pair. La pensée toute en fulgurances de ce théoricien critique de la post-colonie est hantée par un voyage au bout de la nuit. Au fond des « réserves d’obscurité » de l’humanité, il y a le concassage des corps noirs depuis l’esclavage. Mais, pour Mbembe, la fabrication d’une humanité superflue a pris des dimensions planétaires – ce qu’il appelle le « devenir-nègre du monde ». Que faire ? Plaider inlassablement pour la mobilité : contre la fixité d’identités puisées aux origines, contre « l’irrésistible attrait qu’exerce la conscience tribale », contre les combats fondés sur la différence et le « chez-soi », contre les frontières donc, il s’agit de construire « l’en-commun » et de revendiquer le droit de circulation. Dès lors, l’Afrique, par son expérience « nègre » (y compris contemporaine, lorsque l’Europe accepte que des milliers de migrants africains se noient en Méditerranée ou soient esclavagisés en Libye) mais aussi par ses ressources « plastiques », mobiles, transfrontalières, est comme le laboratoire du monde futur. C’est ainsi qu’Achille Mbembe réinvente une pensée cosmopolitique.

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