Des mains heureuses. Une archéologie du toucher 

Une recension de Clara Degiovanni, publié le

Ce n’est pas toujours facile de décrire les gestes et les sensations avec des mots. Là où le langage tend à clarifier les choses, à les mettre dans des cases, le toucher les effleure sans chercher à les cataloguer. Pour écrire une « archéologie du toucher », il faut donc fouiller, tâtonner : mettre la main à la pâte. C’est ce que fait la journaliste et autrice Claire Richard dans cette odyssée sensorielle, s’attardant sur la douceur de la peau d’un bébé, la main rêche d’une vieille dame, la chaleur enveloppante d’une étreinte. Car le toucher n’est pas une expérience abstraite : il se manifeste dans un contexte précis. En l’occurrence, l’écriture de Claire Richard est imprégnée par l’épreuve collective du confinement, elle-même traversée par l’expérience intime de sa grossesse, déroulée sous les auspices hygiénistes de l’épidémie. Elle raconte en creux l’histoire du bannissement du toucher, de sa mise sous cloche dans un monde devenu « sans contact ». Les « mains heureuses » des caresses s’opposent ainsi aux « mains esseulées », « malheureuses », de ceux qui se sont retrouvés privés de la dimension tactile de l’existence. « Ce qui était très compliqué, c’était de voir des gens mourir et de ne pas pouvoir leur donner la main », témoigne Eva, psychologue en Ehpad pendant le confinement. L’ouvrage, hybride dans sa forme, alterne entre des témoignages personnels d’amies de l’autrice ou glanés dans des forums sur Internet, et des passages plus théoriques, visant à définir le cadre possible d’une « politique du toucher ». Cette variation des sujets du discours est pour Claire Richard une manière d’adopter une forme littéraire semblable au sens du toucher : à la fois « fragmentaire », « instable », mais aussi « impure », « contaminée de partout ». La politique du toucher, qu’elle appelle de ses vœux, devrait « façonner un corps tendre », capable de renoncer à user de ses mains pour écraser, fragmenter ou briser. Un corps capable « de toucher sans vouloir posséder ».

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