Du mode d'existence des objets techniques

Une recension de Agnès Gayraud, publié le

Gilbert Simondon a cherché à donner aux objets techniques une dignité métaphysique, à rapprocher l’étonnement philosophique de la curiosité de l’ingénieur. Cet essai, publié en 1958, donne le meilleur exemple de sa méthode : la philosophie met les mains dans le cambouis. L’auteur spécule sur la valve de Fleming, suit de près l’évolution du cylindre et de la culasse dans le moteur automobile… Dans ces objets, il découvre de véritables systèmes évolutifs d’eux-mêmes, comparables aux organismes vivants et inscrits dans un progrès qu’il faut comprendre « en vertu d’une nécessité interne et non par suite d’influences économiques ou d’exigences pratiques ». Étudiant la synergie moderne de l’homme avec les machines, il discute la cybernétique et la théorie de l’information, proposant un récit très original de l’histoire de l’esprit humain. La « phase » technique, qui succède au déphasage de la pensée magique, n’est pas antithétique avec la culture. Car si le machinisme du XIXe siècle a réduit l’homme à n’être qu’un « porteur d’outils » dans un monde mécanisé, Gilbert Simondon anticipe une autre alliance entre les hommes et les objets techniques. Loin de toute technophobie, il envisage pour l’être humain un rôle de médiation : faire communiquer les machines entre elles. Aujourd’hui en cours de réédition, les travaux de Simondon sont incontournables. Si la philosophie française moderne est une petite machine, cette œuvre en est un rouage indispensable, entre Bachelard et Bergson, d’une part, et Latour ou Deleuze, de l’autre.

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