Esprit d’hiver

Une recension de Martin Legros, publié le

Voilà une plongée dans les abîmes de la culpabilité dont le lecteur ne prendra la mesure qu’à la dernière page. Nous sommes le 24 décembre, dans une famille américaine moyenne. Alors qu’Eric, le père, est parti chercher ses parents à l’aéroport, Holly, sa femme, et Tatiana, leur fille, adoptée douze ans plus tôt en Russie, ont du mal à se mettre en mouvement. Du fait d’une tempête de neige, voilà la mère et la fille condamnées à se confronter. Quel est le ressort de ce huis clos ? L’adolescence d’abord, et la distance irrémédiable qu’elle creuse entre les êtres. Mais si la mère se sent coupable de cette inexorable fissure, c’est qu’une autre trame se tend entre elles. Les Anciens l’appelaient le destin ou le tragique. Les Modernes, qui veulent se sentir responsables de leur vie, n’ont que leurs sensations et leurs émotions pour en deviner l’intrigue. Tout l’art de Kasischke tient dans cette approche de l’imminence des choses, qui nous fait passer d’une vague inquiétude psychologique à l’expérience d’un monde devenu terrifiant. « Être submergé par la terreur est une possibilité essentielle de l’existence humaine », soutenait le phénoménologue suisse Ludwig Binswanger, qui introduisit le concept de « terrifiant ». Il ajoutait qu’« on ne peut apercevoir l’essence pure du terrifiant en tant que possibilité existentielle que sur le fondement d’une histoire ». Exactement ce à quoi nous ouvre le roman de Laura Kasischke.

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