Exorcisme

Une recension de Samuel Lacroix, publié le

Gérald Bronner est connu pour être le sociologue des croyances. La Démocratie des crédules (2013) ou Apocalypse cognitive (2021), qui mettent au jour les mécanismes nous poussant à épouser les convictions parfois les plus irrationnelles, ont connu un certain succès. On sait moins, comme il l’explique dans ce récit autobiographique, qu’il a lui-même été l’un de ces « crédules » – en l’occurrence, un véritable adepte de l’occultisme. Nous sommes dans la région de Nancy dans les années 1980. Le Gérald adolescent trompe l’ennui avec ses amis en se livrant à de la petite délinquance. L’atmosphère familiale est pesante. Les sommeils sont fiévreux, les terreurs et hallucinations nocturnes ne sont pas rares. L’envie d’être « sauvé » se fait sentir. Un beau jour, l’ami Nahil, qui est aussi le prof de taekwondo, s’en charge : il sent Gérald prêt à s’initier à la « projection astrale » et lui explique comment se déplacer hors de son corps. L’envie de réenchanter une vie morne est si grande que la magie – c’est le cas de le dire – opère immédiatement. Aidé par son oncle Jean-Luc et son immense bibliothèque occultiste, le jeune homme lira tout ce qui a trait au paranormal. Avec Nahil, ils créeront le Cerf, les Chercheurs en réalisme fantastique, pour pourchasser les satanistes et hâter la fin des temps. L’aventure prend de l’ampleur avant de s’abîmer, avec le départ des plus charismatiques (notamment Nahil et Jean-Luc). Et puis, il y a l’initiation à la politique, à la philosophie, à la sociologie. La découverte des biais cognitifs, ensuite, toujours si chers au sociologue aujourd’hui. L’envie, enfin, d’interroger ses croyances et leurs raisons, de se prendre comme objet d’étude, et de comprendre que l’on peut « croire à des choses folles sans être fou soi-même ». Ce détour par la littérature, avec cette écriture ironique et tendre au service d’un récit haletant, s’offre comme une belle illustration des obsessions de l’auteur, dont on parvient mieux à saisir les ressorts profonds.

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