La Religion à l’épreuve de l’écologie. Suivi de Exégèse et Ontologie

Une recension de Octave Larmagnac-Matheron, publié le

L’écologie est-elle une nouvelle religion ? La question aurait pu être adressée à Bruno Latour, figure tutélaire de la pensée écologique disparue en 2022. Défenseur de l’« hypothèse Gaïa » dans la dernière partie de son œuvre, le philosophe a aussi témoigné de son vif intérêt pour Laudato si’, l’encyclique « verte » du pape François – étrange mélange de références païennes et de transcendance chrétienne. Les entretiens réunis dans ce volume apporteront de précieux éclairages sur ce sujet. Latour rejette sans ambages les interprétations mystiques de cette « hypothèse Gaïa » : « Sur Terre, il y a des vivants et ces vivants sont emmêlés et font des tas de choses bizarres, positives et négatives, et c’est ça Gaïa. Ce n’est pas la peine de vouloir faire beaucoup plus. » Pas de divinisation, donc. En revanche, l’immixtion des non-humains dans notre vision du monde fait bouger les lignes de notre « cosmologie » et ouvre, ce faisant, un espace où le discours religieux peut trouver à se réinventer – ce dont témoigne le tournant écologique de l’Église catholique. « Se révèle peu à peu à quel point on ne vit pas dans le monde matériel imaginé […] par la première “révolution scientifique”. » 

Le grand partage nature-culture a conféré à l’objectivité scientifique le monopole en matière de discours sur une nature inerte et appauvrie, condamnant ainsi la religion à disserter sur des abstractions « surnaturelles ». Mais la crise écologique change la donne. « Plus personne aujourd’hui ne peut dire que les questions de vie, de vivant, d’habitabilité du monde sont de simples questions “immanentes”, à l’écart des vraies questions “spirituelles”. » Latour ne promeut évidemment pas le remplacement de la science par la religion. Mais il s’enthousiasme de la possibilité retrouvée de parler des choses d’une pluralité de manières dont aucune n’épuise le sens. Les « modes d’existence » – scientifique, juridique, politique, technique, religieux… - ne s’opposent pas. Ils sont travaillés, certes, par la tentation de l’« hégémonie », mais leur « cohabitation » est, croit Latour, possible et même nécessaire. Le réel est tissé d’une multiplicité d’objets produits – et souvent coproduit – par une pluralité de procédures irréductibles. « Chaque mode invente […] une nouvelle manière d’extraire ou de capter dans l’altérité quelque chose d’autre. » Chacun fait au réel quelque chose que les autres ne font pas. C’est seulement dans leurs contrastes que ces modes peuvent faire entendre leur voix propre. Laudato si’, estime Latour, a saisi cette « immense occasion ».

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