La Révolution de l’authenticité à l’âge du romantisme

Une recension de Frédéric Manzini, publié le

Avec ce vaste travail d’archéologie qu’était Être soi-même (Folio essais, Gallimard, 2019), Claude Romano avait impressionné par sa manière de relire l’histoire de la philosophie, des Grecs à Heidegger, à partir de la question du souci de soi. L’ambition de La Révolution de l’authenticité, qui s’inscrit dans la même veine, peut paraître plus modeste en apparence, mais qu’on ne s’y trompe pas : c’est bien d’un approfondissement qu’il s’agit. En choisissant de se concentrer sur la seule période romantique, qui s’étend de Goethe à Nietzsche, l’ouvrage interroge le cœur de ce moment charnière où se forme un nouvel idéal existentiel. Celui-ci se caractérise par « un culte de l’originalité sans précédent, une fascination pour l’homme qui sort du rang et est en butte au ressentiment de la société, c’est-à-dire de la médiocrité collective », à l’image de ces héros romantiques qui aiment à se distinguer par l’habit ou le mode de vie. Alors que les normes religieuses traditionnelles et les conventions sociales commencent à vaciller tant dans la société que dans la littérature ou dans la philosophie, c’est toute une vision du monde qui bascule : éthique de la « belle âme » (critiquée par Hegel) ou de la self-reliance érigée, grâce à Emerson, en valeur fondatrice de la nation américaine, redéfinition du génie comme capacité d’affranchissement à l’égard des codes, transformation de la notion de sincérité – qui cesse d’être une vertu sociale pour devenir sincérité envers soi-même –, rejet du capitalisme industriel, célébration de l’idiosyncrasique et exaltation de la liberté individuelle sur fond d’un rapport ambigu à la démocratie. Et nous n’avons pas fini d’en hériter, analyse Romano : « Le romantisme, qu’on y souscrive ou qu’on s’y oppose, a façonné en profondeur notre manière de [nous rapporter au monde] et trouve aujourd’hui encore de nombreux échos dans des courants d’idées puissants », qu’il s’agisse de l’altermondialisme, de la défense des particularismes et des minorités, de la technophobie ou du mouvement de l’écologie profonde.

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