La société ingouvernable. Une généalogie du libéralisme autoritaire

Une recension de Antoine Rogé, publié le

Moins de fiscalité, moins de régulation et de services publics pour plus de liberté accordée aux marchés : le néolibéralisme se présente volontiers comme une doctrine du recul de l’État. Michel Foucault, analysant les divers modes de « gouvernementalité », a noté que ce rétrécissement s’est accompagné d’un changement, amorcé dès les débuts de l’État moderne, au cours duquel la conduite des affaires publiques a épousé le moule de la rationalité gestionnaire privée. Mais tout amoindri qu’il est, l’État n’est pas pour autant « affaibli, bien au contraire », comme y insiste le philosophe Grégoire Chamayou. Il entend montrer par quel « libéralisme autoritaire », notamment au cours des décennies 1960 et 1970 aux États-Unis, les acteurs du monde des affaires façonnèrent les outils de gouvernement d’une société qui risquait de devenir « ingouvernable ». Analysant longuement les débats internes au management, souvent hauts en couleur, l’ouvrage creuse surtout, textes de l’économiste Friedrich Hayek à l’appui, une hypothèse stimulante : que la pensée néolibérale tire ses racines d’une théorie autoritaire de l’État incarnée par le juriste et philosophe membre du parti nazi Carl Schmitt. L’expression « libéralisme autoritaire » serait en fait un « pléonasme », puisque la libération des forces du marché au détriment des intérêts sociaux réclame, d’une part, la concentration des pouvoirs politiques à des fins de répression, et, d’autre part, la mise en place de stratégies douces par lesquelles l’État transforme la nature de la demande sociale – par exemple, en laissant une entreprise publique péricliter et être supplantée par ses concurrents privés. Rien de plus politique, donc, que ce retrait du politique.

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