La vie. Mode d'emploi critique

Une recension de Catherine Portevin, publié le

La Vie, en près de deux cents pages : Didier Fassin ne craint pas le sujet massif et s’y attaque avec une discrète outrecuidance. La thèse est forte, les références en béton, les articulations subtiles entre les idées et les faits : d’un côté, la vie devenue valeur suprême, de l’autre, les vies concrètes qui, elles, ne se valent pas ; comment on considère la vie, et comment on traite les vies. Médecin, anthropologue et philosophe, Didier Fassin repense à nouveaux frais la séparation problématique entre le vivant et le vécu, le biologique et le biographique, la zoè et le bios, ou ce que Giorgio Agamben distingue en « vie nue » et « vie qualifiée ». Au cœur de sa critique, il a placé les vies précaires des millions de migrants, qui donnent à sa réflexion son urgence et interpellent notre « économie morale ». Le dernier chapitre est particulièrement saisissant, lorsque Fassin substitue à la trop célèbre biopolitique de Foucault (qui s’intéressait en réalité à la gestion des populations) la notion de « politiques de la vie » qui, de fait, détermine quelles existences valent la peine. Il l’observe à partir de statistiques implacables des disparités face à la mort – par exemple, six ans d’espérance de vie en moins pour les Noirs aux États-Unis – ou des différents moyens par lesquels une société donne une valeur économique aux personnes – naguère par les dots ou la réparation des homicides, ou par les assurances vie, et aujourd’hui par les tarifs d’indemnisation des victimes. Le livre de Didier Fassin aurait pu aussi s’intituler : « Les vies inégales ».

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