Les embarras de l'identité

Une recension de Martin Duru, publié le

1/ Les usages de l’« identité »

Descombes est un désembrouilleur. Il entend clarifier nos concepts via l’analyse du langage ordinaire. Un même mot peut recevoir plusieurs significations ou usages. Soit le terme « identité ». Il a d’abord une acception « élémentaire », logique : être identique, c’est être une seule et même chose. Mais un autre sens s’est progressivement dégagé. Il possède une dimension « morale » et correspond à l’adjectif « identitaire ». On parle désormais de l’identité d’un groupe, d’un quartier, d’une marque, etc., pour désigner ce qui constitue sa singularité propre, son foyer d’authenticité. L’identité est devenue un motif de « fierté » et de revendication.

2 / Redéfinir la subjectivité

Répondre à la question « qui suis-je ? », c’est faire état d’une identité subjective. En philosophie, l’identité subjective est liée à l’intériorité, à la conscience de soi. L’existentialisme au sens large a posé l’impératif éthique : il faut être soi-même, se choisir soi-même de manière radicale. Comme dans son livre majeur Le Complément de sujet (Gallimard, 2004), Descombes entend rompre avec ce catéchisme du « soi », entité en définitive mystérieuse. Il défend une conception « pratique » et « expressive » de la subjectivité : l’individu agit dans des circonstances données et trouve son identité en dehors de lui-même, dans ce qu’il fait concrètement – dans les actes qui l’expriment.

3 / Le « nous » dans tous ses états

Quid de l’identité collective, nationale par exemple ? La définir est un exercice controversé… Certains ont répudié la notion même d’identité collective, qui renverrait toujours à un artefact mystificateur. Descombes, lui, se montre plus nuancé, car parler d’un « nous » est un acte de langage significatif. En employant ce mot, le locuteur s’inclut dans un ensemble culturel plus vaste, fait de mœurs et de coutumes partagées, instituées. Ces « manières de faire et d’agir » collectives au sein d’une communauté donnée sont à la fois héritées et transmises – et peuvent en ce sens évoluer. L’identité collective renvoie donc à une affirmation : un « je » se reconnaît, se dilate dans un « nous » qui lui préexiste ; ainsi, il s’individue – ou comment devenir soi-même par(mi) les autres.

Sur le même sujet
Entretien
11 min
Nicolas Truong

Discret, Vincent Descombes est pourtant l’auteur d’une œuvre majeure, tout entière tournée vers une philosophie analytique qui saurait ne pas se cantonner au seul langage. De sa découverte des dialogues de Platon à l’aventure du groupe…


Article
14 min
Alexandre Lacroix

Qu’est-ce qui fait que je suis moi, et pas un autre ? Comme le montre le philosophe Vincent Descombes, auteur des Embarras de l’identité …

Vincent Descombes. Toi, toi, mon moi


Article
2 min
François Morel

Bien évidemment, je suis d’accord avec vous, ça fait tout de même beaucoup : des écolos, des fachos, des socialos, un coco, un tro­tro, des rigolos… Sans…

Conseil n° 13. Embarrassons-nous du choix

Le fil
1 min
Jean-Marie Durand

Connaissez-vous Paul Audi ? Voici un philosophe exigeant et singulier, qui cherche à comprendre ce qui ne va pas chez lui dans Troublante Identité,…

L’identité ? Quelle identité ?



Article
2 min
Cédric Enjalbert

Il tient le haut de l’affiche du Théâtre de la Porte-Saint-Martin (à Paris) dans “La Carpe et le Lapin”, aux côtés de Catherine Frot. Avec elle, Vincent Dedienne interprète un mille-feuille cocasse de textes, de danses et de chants,…