Moi aussi je pense donc je suis

Une recension de Clara Degiovanni, publié le

Les femmes philosophes sont-elles une bande de pipelettes ? Savent-elles lire et se concentrer sans se dissiper ? Dans cet essai foisonnant et incarné, Élodie Pinel permet de saisir l’étendue de ces soupçons absurdes et offensants, qui ont toujours pesé sur les philosophes féminines. Tout commence, pour l’autrice, sur les bancs de l’Université. Dans les années 2000, elle y découvre un univers très masculin – pour ne pas dire un « boy’s club » –, qui l’accuse, par exemple, de faire une « leçon de bonne femme » lors d’un oral d’entraînement à l’agrégation. Face à cette condescendance, elle montre comment les femmes philosophes ont pris l’habitude de se faire discrètes, choisissant d’écrire avec simplicité pour ne pas être accusées de faire des fioritures. À l’Université, elles se dirigent plus souvent vers l’histoire de la philosophie que vers la métaphysique, plus élitiste et plus valorisée. Élodie Pinel remonte le fil de cette autocensure, fondée sur un puissant terreau de mépris et de misogynie. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les philosophes ne sont pas exempts du sexisme le plus crasse, comme en témoignent les exergues des chapitres de cet essai, telle cette citation de Nietzsche : « Tu vas voir les femmes ? N’oublie pas ton fouet ! » Elles sont donc des dizaines, de Diotime, « maîtresse à penser de Socrate », à l’écoféministe Françoise d’Eaubonne, en passant par la philosophe mystique médiévale Marguerite Porete, à n’avoir pu percer le plafond de verre des « classiques » qu’il est de bon ton de citer dans les dissertations. Philosophant envers et contre tout, parfois au péril de leur vie – Marguerite Porete a ainsi été brûlée vive –, elles ont pourtant produit des pensées amples et audacieuses dans tous les domaines, et pas uniquement dans le courant « genre et féminisme » auquel on les cantonne souvent. Pour preuve : Élodie Pinel a décroché l’agrégation en citant autant de philosophes femmes que d’hommes, ce qui est bon signe. Y compris dans les sphères d’excellence, on commence – enfin – à se rendre compte que les femmes pensent !

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