Noirceurs

Une recension de Victorine de Oliveira, publié le

Quel que soit le nom qu’on leur donne en France, « pensée décoloniale », « antiracisme » ou « racialisme », les critical race studies, ou théorie critique de la race, font l’objet d’un malentendu. On leur reproche leur absence de neutralité? C’est justement leur revendication de s’exprimer depuis un point de vue situé en opposition à la pseudo-objectivité blanche. On regrette leur radicalité ? Elle se nourrit précisément d’une violence institutionnelle qui refuse de se reconnaître comme telle. Parce que cette théorie critique de la race ne constitue pas un bloc homogène mais une galaxie d’intellectuels que leurs critiques n’ont souvent même pas pris la peine de lire, Norman Ajari fournit un travail de compilation et dégage les grandes tendances qui irriguent ce mouvement. Le pessimisme est la principale d’entre elles, qui se traduit par la conviction que les discriminations dont souffrent les Noirs ne sont pas uniquement liées à un contexte historique contingent (le colonialisme, par exemple) mais à une profonde détestation de la peau et du corps noirs, enracinée dans l’inconscient blanc. Pour les héritiers de Frantz Fanon, « la négrophobie est d’abord et avant tout inconsciente et libidinale – c’est-à-dire qu’elle réside dans le désir collectif avant de se manifester dans les institutions politiques et sociales ». Quelles conclusions tirer de ce constat glaçant ? On peut tenter de le nier, posture uniquement envisageable si l’on n’est pas directement concerné. Ajari propose, lui, d’au moins commencer par entendre ce cri de désespoir et de colère.

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