Philosophie de la Nature

Une recension de Mathilde Lequin, publié le

1. Pensée du mythe

De l’art rupestre à la physique nucléaire, Feyerabend dresse un vaste panorama des représentations de la nature, qu’elles soient mythologiques, scientifiques ou philosophiques : ces trois manières d’expliquer le monde sont pour lui tout aussi complètes et cohérentes. Dans le sillage de Lévi-Strauss, il réhabilite la pensée « primitive », allant jusqu’à affirmer que « les mythes constituent des alternatives tout à fait crédibles face à la science». Les représentations mythologiques de la nature ne sont qu’une autre manière de faire de la science : le site mégalithique de Stonehenge (Angleterre) abrite les vestiges d’un observatoire astronomique (2 000 av. J.-C.), représentant le « patrimoine notionnel […] des philosophes et des scientifiques de l’âge de pierre ».

 

2. Généalogie de la raison

Conçu comme l’introduction d’une grande Philosophie de la Nature en trois tomes, qui ne verra jamais le jour, ce livre retrace la naissance du rationalisme occidental lorsque le monde homérique des « agrégats instables », qui juxtapose plusieurs significations, a fait place au monde des philosophes grecs, fait d’unités essentielles scellées par des concepts abstraits. C’est là que s’amorce, selon Feyerabend, la « pétrification graduelle de la vie » qu’il continue à dénoncer dans La Tyrannie de la science, un recueil de conférences données en 1992 et récemment traduit en français. Coupée de l’expérience, en dépit de son credo empiriste, la science moderne est pourtant loin d’être toujours rationnelle : Galilée n’hésite pas à modifier un élément de l’observation « pour garantir la survie d’une idée séduisante ».

 

3. Principe de prolifération

En 1975, Feyerabend laisse de côté sa Philosophie de la Nature pour publier Contre la méthode, une « théorie anarchiste de la connaissance» dont le slogan fait scandale. En science, clame-t-il, « tout est bon » (« anything goes ») : toutes les théories sont bonnes et tous les coups sont permis pour les imposer. Fondée sur le « principe de prolifération » des théories, cette vision relativiste et pluraliste de la science est présente dans l’ouvrage inachevé de Feyerabend, où il bataille déjà contre la science orthodoxe, peuplée d’« âmes serviles, prétentieuses, prolixes et malheureuses ». Ce franc-parler, qui lui vaudra d’être qualifié de « pire ennemi de la science », fera aussi de lui le maître d’une nouvelle génération de philosophes des sciences emmenée par Bruno Latour.

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