Sauvagerie et Civilisation

Une recension de Catherine Portevin, publié le

En quelques années, les Lumières se sont éteintes. La France de Napoléon ne croit plus guère aux progrès de la civilisation, à la perfectibilité de l’homme, à l’éducation qui régénère le peuple. Elle croit à une science qui classifie des identités fixées, à la frontière naturelle, et étanche, entre le sauvage et le civilisé. Dans Sauvagerie et Civilisation (Fayard), Jean-Luc Chappey relit l’histoire des liens ambigus de la République avec ses idéaux à travers le cas de Victor de l’Aveyron. Capturé fin 1799 dans le causse de Lacaune, alors que le coup d’État de Brumaire met fin au Directoire, cet enfant sauvage fut le témoin silencieux d’un « moment de basculement politique, intellectuel et culturel majeur » entre la Révolution et l’Empire, à l’orée du XIXe siècle. Considéré d’abord comme un enfant abandonné et sourd-muet, Victor est pris en charge par le docteur Itard. Pour celui-ci se joue autour du « sauvage » le projet civilisateur des Lumières, par les vertus de la socialisation et de la pédagogie – c’est d’ailleurs ce que la France des années 1970 reconnaîtra dans le film que François Truffaut consacra à l’enfant sauvage. Mais les progrès de Victor stagnant, le docteur Itard lui-même perd ses illusions. Le goût du jour n’est plus à vouloir faire de l’Autre un semblable mais à renvoyer le sauvage à son obscure nature. L’esclavage est rétabli en 1802, Victor de l’Aveyron est diagnostiqué idiot congénital en 1811 et meurt en 1828 dans l’indifférence générale. Si toute société politique « fabrique » son sauvage, toutes les prétentions civilisatrices ne se valent pas, affirme en d’autres termes Jean-Luc Chappey. Un excellent livre pour faire un salutaire pas de côté en fin de campagne présidentielle !

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