Sur la piste animale

Une recension de Antoine Rogé, publié le

« Je hais les voyages et les explorateurs. » On se souvient comment l’anthropologue Claude Lévi-Strauss mettait en garde son lecteur (et lui-même) contre la tentation très occidentale de n’aller chercher dans les cultures éloignées que le frisson de l’exotisme. Dans un geste similaire, Baptiste Morizot narre ses pérégrinations sur les traces de la panthère kirghize, de l’ours américain et du loup français, pour mettre fin aux représentations qui exagèrent l’altérité des bêtes et participent du fantasme délétère d’une humanité appelée à dominer la nature. Car apprendre à voir et à penser comme un loup le long d’une sente au fond d’une vallée varoise, c’est découvrir que nous partageons avec ces mammifères prédateurs et bien d’autres une « communauté de problématiques vitales » appelant des réponses similaires. Elles fondent la possibilité d’une cohabitation plus harmonieuse avec ces espèces. La nature n’étant pas un « dehors », sa topologie est « interstitielle », intriquée à la nôtre, et c’est avec cette présence animale au plus près de nos villes et de nos usines que l’ouvrage nous apprend à composer. Servi par une plume talentueuse, le pistage devient un art de lire et de transmettre les signes entre espèces et constitue pour Morizot la base d’une « diplomatie » agissant à l’interface entre cultures humaine et animale. De quoi multiplier les sentiers pour les promenades estivales.

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