Tout doit disparaître. Lettres d’un monde qui s’efface

Une recension de Cédric Enjalbert, publié le

La disparition n’est ni l’adieu franc ni le pur oubli. Elle signale plutôt ce qui a été au cœur de ce qui n’est plus. Une présence absente comme on parle de « nos chers disparus », morts sans vraiment avoir cessé d’être. Ce concept, les deux journalistes Annabelle Perrin et François de Monès s’en sont emparé comme d’un principe d’écriture. Depuis janvier 2022, ils expédient à leurs abonnés deux fois par mois et dans leur « vraie boîte aux lettres » des récits, des enquêtes et des reportages évoquant « un souvenir évanoui ». Dix de ces lettres sont réunies dans ce joli recueil hétéroclite.

Les rédacteurs nous mènent tant en Méditerranée, sur l’une de ces gigantesques croisières anachroniques que les impératifs écologiques devraient rapidement rendre obsolètes, qu’à Montcabrier, un bourg dans le Lot dont le terrain de foot a vu passer des générations de joueurs et de supporters, et qu’une autoroute superflue s’apprête à recouvrir. Le dernier de ces voyages est un récit inédit de Mohamed Mbougar Sarr, lauréat du prix Goncourt 2021 pour La Plus Secrète Mémoire des hommes. Il se déroule au Mexique en décembre 2022 et relate son expérience d’enfermement dans une « zone d’attente pour personne en instance » (Zapi). Les Zapi parquent à l’abri de tout regard, pour une durée indéterminée de quelques heures à quelques jours, et sans possibilité de communiquer, les détenteurs d’un passeport « non indubitable » – comme celui du romancier sénégalais, semble-t-il. « Impossible, d’où nous étions, de croire que nous étions dans le même espace que le commun des mortels : nous nous trouvions dans un espace autre, une pure hétérotopie négative, inespace du droit, de la liberté et de la parole », écrit-il, décrivant cette impression de « n’avoir jamais existé », qui est le mode d’être paradoxal des réfugiés. « Ils avaient l’impression d’avoir disparu à leurs propres yeux, et pas seulement aux yeux d’autres, qui parlaient beaucoup d’eux mais ne voyaient pas leur existence. » Et si nous retrouvions la vue ?

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