Tout est accompli 

Une recension de Catherine Portevin, publié le

En 1997, Yannick Haenel, François Meyronnis et feu Frédéric Badré, écrivains trentenaires, créent la revue Ligne de risque. Valentin Retz les rejoint peu après. Le projet sonne comme un réveil : pour dépasser le nihilisme, il s’agit de penser le néant – « la part maudite », dirait Georges Bataille, l’un des inspirateurs de ce courant, et plus encore la figure incandescente du Maldoror de Lautréamont – pour de nouveaux commencements. L’entreprise est ouverte et libre. Elle est d’abord esthétique (la littérature, « la parole », a seule l’intuition du salut). Elle devient mystique, théorisant un « retournement messianique » puisé à la kabbale et à l’Évangile, à la Synagogue et à l’Église. C’est l’objet de ce livre en forme de conversion postapocalyptique.

Nous vivons « l’âge de la fin », avec l’extermination de l’espèce humaine comme unique projet d’avenir. Déjà, « le Dispositif » que crée la mise en réseau numérique du monde « contrôle à partir du virtuel tout ce qui existe ». Échec des Lumières, liquidation de l’histoire. Toute pensée de l’avenir ne peut s’imaginer qu’à partir du déjà fini : « tout est accompli » sont, selon l’Évangile de Jean, les dernières paroles du Christ avant sa mort sur la croix. Parcourant à grands pas (et avec de fortes analyses de détail) « la courbure des Temps modernes », de la Révolution française à la Silicon Valley, les trois auteurs prophétisent l’avènement du Royaume. Si « le désert croît », comme disait Nietzsche, il faut justement, tel le stylite du christianisme juif, « aller vers le désert », « faire le saut ardent vers l’intérieur » pour toucher en soi la présence divine. Une voie… étroite.

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