Asma Mhalla : “L’IA change la nature même de nos concepts politiques”
Alors que l’Union européenne a adopté le 13 mars la première loi encadrant les usages de l’intelligence artificielle, Asma Mhalla, autrice du récent essai Technopolitique (Seuil, 2024), déplore les conceptions dépassées d’État et de souveraineté dont use l’élite politique pour traiter des nouvelles technologies caractérisées par l’hypervitesse, la dissémination et la prolifération.
L’Union européenne est en train d’adopter une première loi contraignante sur l’intelligence artificielle. Personne ne l’avait jamais fait. Qu’en pensez-vous ?
Asma Mhalla : Une première mise au point : l’intelligence artificielle (IA) n’est pas qu’un ensemble de techniques. Elle est aussi un socle civilisationnel. Câbles sous-marins, satellites, systèmes d’information, logiciels, algorithmes et supercalculateurs sont aux mains de sociétés privées et participent à la captation de milliards de données. Karl Marx désignait l’infrastructure comme l’ensemble des moyens de production détenus par le grand capital. Or ces sociétés privées, les BigTech, sont l’infrastructure. Ils sont ce que j’appelle l’InfraSystème. Alphabet [le conglomérat de sociétés précédemment détenues par Google] fait de la politique publique technologique dans son acception la plus aboutie. En effet, c’est à partir de ces techniques que se déploie tout le reste : le fait social, économique, politique ou militaire. Une fois que l’on a dit cela, il devient clair que l’IA ne pouvait pas échapper à un encadrement juridique. Il fallait le faire. Avec les règlements européens sur les services numériques ou les marchés numériques, la législation sur la cybersolidarité et j’en passe, nous confirmons un signal politique : nous n’avons pas nos propres technologies, mais les acteurs extra-communautaires doivent respecter nos règles. Pour le reste, tout manque. On va obliger les géants du numérique à respecter les règles européennes en matière de droit d’auteur, à être plus transparents quand on utilise leurs services pour l’éducation ou le maintien de l’ordre… Contre quoi ? Des amendes de dizaines de millions d’euros qui ne représentent pas grand-chose pour OpenAI, Microsoft ou Google. Enfin, sur le plan de nos valeurs communes, le texte interdit le système de crédit social utilisé en Chine, la surveillance de masse où l’identification biométrique à distance des personnes dans les lieux publics. Sauf que les États ont obtenu des exemptions. Nous laissons déjà des brèches dans ce texte qui devrait être opérationnel en 2026. Il est insuffisant et sera, de surcroît, probablement en décalage, car, d’ici là, nous aurons connu d’autres sauts technologiques.
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