1_La peur, une ennemie

Big Brother vous effraie

Martin Legros publié le 5 min

À l’ère de la « guerre à la terreur », l’État ne se contente plus de nous surveiller, il instrumentalise et amplifie les menaces. Et nous laisse avec une question : la peur peut-elle être le ciment de la communauté politique ?

La scène se déroule le 3 février 2003 lors d’une réunion publique du Conseil de sécurité à l’ONU. Décidé à faire basculer la communauté internationale dans le sens de la fermeté et de la guerre, le secrétaire d’État américain Colin Powell sort de sa poche une fiole d’« anthrax irakien » censée accréditer la thèse de la présence d’armes de destruction massive, chimiques et bactériologiques en Irak. Lancée un mois plus tard dans le cadre de la guerre globale contre le terrorisme, l’invasion du pays qui aboutit à la chute du régime de Saddam Hussein et à une redoutable occupation, ne permettra jamais de mettre la main sur les armes en question. Mais l’instrumentalisation a joué à plein : faire peur avec la peur ! Au-delà de l’affaire irakienne, c’est en réalité un gouvernement de la peur qui s’est instauré au lendemain du 11 Septembre, capable de soumettre l’opposition, la presse et la justice, de légitimer la pratique de la torture tout en menaçant les libertés fondamentales, et résolu à faire fi de la communauté internationale et du droit. Une sorte d’institutionnalisation de l’« État d’exception » pour reprendre les mots du philosophe Giorgio Agamben, qui voit dans l’absence de statut juridique des prisonniers de la « guerre contre le terrorisme » (ni prisonnier de guerre, ni inculpé ; leur détention, indéfinie, était soustraite à toute loi) le nouveau paradigme du gouvernement à l’âge de la peur. « Un droit qui inclut en soi le vivant à travers sa propre suspension », voilà la nouvelle signification de l’État d’exception, note-t-il dans État d’exception, Homo Sacer 2 (Seuil). La « parenthèse » s’est-elle refermée avec l’élection de Barack Obama, qui a eu l’audace d’affirmer, dès son investiture : « Nous avons choisi de faire triompher l’espoir sur la peur » ? Rien n’est moins sûr.

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