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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Piscine en plein air Jean-Bron, à Grenoble (38). © Pascal Bastien/Divergence

Le débat

“Burkini” : les arguments pour et contre son interdiction

Samuel Lacroix publié le 24 mai 2022 6 min

C’est une décision qui n’en finit pas de faire polémique. La semaine dernière, le conseil municipal de la ville de Grenoble a entériné à une courte majorité le principe d’une modification des règlements intérieurs des piscines de la ville, ouvrant la possibilité de s’y baigner seins nus ou… en burkini. Ce vêtement islamique relativement récent couvrant le corps et la tête est depuis quelques années l’objet d’âpres débats, entre ceux qui y voient un cheval de Troie de l’islamisme radical et ceux qui dénoncent son interdiction, critiquant un dévoiement de la laïcité supposément raciste. Mise au point et clarification sur les arguments en présence.

Les arguments pour l’interdiction du burkini

Les Français sont attachés à une certaine lecture de la laïcité et du féminisme. Même si le port du burkini ne peut être interdit au nom de la laïcité dans la mesure où les usagères des piscines ne sont pas astreintes à la neutralité religieuse et où cet habit ne constitue pas un voile intégral (il ne couvre pas le visage, les mains et les pieds), un récent sondage de l’Ifop nous apprend que 69% des Français sont favorables à l’interdiction du burkini dans les piscines publiques, en partie pour des raisons relatives à la laïcité. C’est qu’un certain nombre de personnes en ont une acception particulière, qui déborde la lettre de la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État, et que Régis Debray résume ainsi : elle est « avant tout une construction juridique fondée sur une exigence de la raison : l’égalité en droit de tous les êtres humains » (La Laïcité en question, 2016). Elle n’est pas que la reconnaissance d’un droit mais aussi un habitus qui fait de la religion une affaire privée. Entre esprit anticlérical et préservation d’une identité traditionnelle d’une France qui serait attachée à une certaine liberté de mœurs, d’aucuns considèrent que la laïcité ne doit pas permettre qu’un tel vêtement soit toléré : c’est faire une place à la bigoterie qu’on veut tenir éloignée (la religion, il y a des lieux ou des moments pour cela, dont la baignade à la piscine ne fait pas partie) et rendre acceptable l’idée que le corps des femmes ne doit jamais être découvert en public, y compris dans un tel lieu de rafraîchissement.

Autoriser le port du burkini, c’est ouvrir une boîte de Pandore. Les tenants de cette ligne « laïcarde » avancent aussi l’idée que céder à une telle revendication, c’est montrer des signes de faiblesse face à des tenants d’un islam politique qui se sentiront pousser des ailes et ne s’arrêteront pas en si bon chemin. Si les pouvoirs publics flanchent sur ce sujet, ils se retrouveront bientôt confrontés à d’autres exigences de cet acabit, dont, sans doute, celle d’horaires aménagés pour les hommes et les femmes dans les piscines. L’idée est que le maire de Grenoble, Éric Piolle, a cédé au chantage d’une association aux relents communautaires, Alliance citoyenne, dont l’une des porte-parole, Taous Hammouti, avait posté sur Facebook en 2015 : « N’oubliez pas que c’est Charlie qui a dégainé le premier », à propos des attentats qui avaient visé le journal satirique.

En outre, on fait place à la liberté de ces femmes de se baigner, ce qu’elles ne voulaient pas faire tant que le burkini n’était pas autorisé, mais on oublie les impératifs d’égalité et de fraternité au profit d’une forme d’individualisme qui glisse vers l’aménagement de régimes juridiques différents. C’est ce que pense l’essayiste Fatiha Agag-Boudjahlat, qui cite Montesquieu à l’appui : « La liberté ne peut consister qu’à pouvoir faire ce que l’on doit vouloir » (De l’esprit des lois, 1748). En somme, ce n’était pas ce que vous deviez vouloir ; ce n’était pas une exigence de liberté mais un égoïsme (un argument que l’on retrouve du reste dans la question de l’hygiène, mobilisée par plusieurs élus, et qui se retrouve y compris dans un pays musulman comme le Maroc : la plupart des piscines exigent des slips de bain moulants, et c’est pourquoi elles refusent également les shorts de bains pour les hommes).

Enfin, même s’il ne s’agit pas directement d’un argument en faveur de son interdiction, on pourrait ajouter que le burkini n’est pas un vêtement religieux mais une « ruse du capital ». Le burkini ne serait qu’un coup marketing porté par des entrepreneurs cyniques et opportunistes, et ne correspondrait pas du tout au respect d’une pratique religieuse ancestrale. Il a été créé par une Australienne au début des années 2000, et les textes sacrés ne font pas mention d’un habillement spécifique quand on se baigne. Ces entrepreneurs surfent sur une vague de repli identitaire à l’œuvre tout comme, d’après l’anthropologue et essayiste Florence Bergeaud-Blackler, ces enseignes qui se sont mises à proposer de la viande halal au moment de l’arrivée au pouvoir des mollahs en Iran alors que jusqu’à ce moment, les autorités musulmanes acceptaient, à l’exception du porc, que l’on consomme les nourritures des « gens du Livre » (chrétiens et Juifs compris, donc).

Les arguments contre l’interdiction du burkini

Interdire le burkini ne peut se faire au nom de la laïcité et du féminisme. Ceci au nom de la stricte application de la loi de 1905. C’était d’ailleurs ce qu’avait déjà énoncé le conseil d’État en 2016, quand les maires de quelques communes des Alpes-Maritimes avaient voulu l’interdire sur les plages de leurs villes. De même, certaines féministes arguent du fait qu’il n’est pas particulièrement favorable à la libération des femmes de décider à leur place de comment elles s’habillent. C’est notamment le cas de la militante afroféministe Rokhaya Diallo, qui prend régulièrement la parole sur ces questions, mais aussi de militantes plus proches de l’universalisme républicain, comme Martine Storti, autrice de Sortir du manichéisme (Éditions Michel de Maule, 2016) : on peut voir le voile et le burkini comme des signes d’oppression sans pour autant exiger de ces femmes de se dévêtir. Par ailleurs, la minijupe ou les talons peuvent aussi être perçus comme des éléments participant d’une représentation stéréotypée et sexiste des femmes sans que l’on cherche à les interdire pour autant (même si elles ne sont, pour leur part, pas encouragées par un dogme aussi puissant que le dogme religieux).

Interdire le burkini est contre-productif. On peut faire l’hypothèse que plus on parle du burkini et l’on se crispe à son sujet, plus on lui fait de la publicité. Même des personnes qui sont philosophiquement hostiles à ce vêtement pour des raisons qui leur appartiennent seraient plutôt avisées de ne pas participer aux polémiques lancées à son propos, souvent par une extrême droite qui en est friande. Avant Grenoble, la ville de Rennes avait déjà autorisé le port du burkini, sans que l’on constate une explosion du nombre d’usagères en portant et sans que cela ne crée une hystérie généralisée. C’est l’une des leçons que l’on peut aussi retenir du livre de témoignages de la journaliste Faïza Zerouala Des voix derrière le voile (Premier Parallèle, 2015) : non seulement, la plupart des femmes semblent porter le voile librement, et non pas contraintes, mais de surcroît, plus on leur fait comprendre que ce geste n’est pas acceptable, plus les femmes musulmanes en général ont tendance à vouloir le faire, dans un geste de réappropriation culturelle et religieuse d’une identité stigmatisée.

Les intégristes ne vont pas à la piscine. Le vrai problème serait que les femmes qui veulent porter le burkini à la piscine soient contraintes de le faire par des tiers qui ont toute autorité sur elles. Le fait est que, comme on vient de le voir, rien n’est moins sûr, mais en outre, il faudrait se rappeler que les véritables intégristes ne se rendent pas dans les piscines, qui sont des lieux de débauche impudiques à leurs yeux. La place des femmes, dans l’idéologie salafiste, est le foyer, certainement pas la piscine, avec ou sans burkinis – un vêtement que les tenants de l’islam radical considèrent d’ailleurs comme haram (حَرَام), « illicite », à l’instar de l’imam Mohamed Nadhir, qui explique sur son compte Twitter suivi par 25 000 personnes que « ce n’est pas un vêtement licite pour la femme musulmane ». Fort de ce constat, on pourrait dire que le burkini et la revendication de le porter dans les piscines formeraient davantage le symptôme d’une crispation identitaire et d’un rigorisme renouvelé encouragé par les stigmatisations diverses, que le triomphe définitif d’une idéologie mortifère.

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