Byung-Chul Han et le retour de l’ennemi
Le philosophe allemand Byung-Chul Han, qui avait annoncé l’avènement d’une société transparente et sans véritable adversaire extérieur, reconnaît que le Covid-19 marque au contraire le retour de la guerre et de l’ennemi, sous la forme d’une négativité intérieure à chacun. Il pointe également le risque que la société ne devienne un espace de quarantaine généralisé où le télétravail deviendrait l’équivalent libéral du “camp de travail” des sociétés totalitaires. Une thèse provocante ? Oui, mais qui mérite d’être discutée.
La panique suscitée par l’épidémie de Covid-19 est excessive. Comment l’expliquer ? Pourquoi le monde réagit-il de manière aussi angoissée face à un virus ? Tout le monde parle de “guerre” et d’“ennemi invisible” qu’il nous faudrait vaincre. Avons-nous affaire à un retour de l’« ennemi » ? La grippe espagnole a surgi au cours de la Première Guerre mondiale. Chacun était alors encerclé par l’ennemi. Personne n’aurait pensé à faire de l’épidémie une question de guerre et d’ennemi. Nous vivons cependant, de nos jours, dans une société bien différente.
“La société organisée sur un modèle immunologique est marquée par les frontières. La mondialisation a déconstruit ces barrières immunitaires pour laisser la voie libre au capital”
Byung-Chul Han
Nous avons, à vrai dire, vécu pendant très longtemps sans ennemi. La guerre froide est terminée depuis trois décennies. Jusqu’à récemment, le terrorisme islamique était relégué au loin. Il y a dix ans exactement, je soutenais dans mon essai La Société de la fatigue la thèse que le paradigme immunologique, qui repose sur la négativité de l’ennemi, n’était plus pertinent pour parler des sociétés dans lesquelles nous vivions. La société organisée sur un modèle immunologique, comme du temps de la guerre froide, est marquée par les frontières, les clôtures – lesquelles entravent la circulation des marchandises et du capital. La mondialisation a déconstruit ces barrières immunitaires pour laisser la voie libre au capital.
La promiscuité et la permissivité générale, qui se sont emparées de tous les domaines de la vie, ont aussi contribué à ébranler la négativité de l’étranger ou de l’ennemi. Les dangers qui nous menacent aujourd’hui ne proviennent pas de la négativité de l’ennemi, mais d’un excès de positivité – qui s’exprime comme suractivité, surproduction et surconsommation. La négativité de l’ennemi ne correspond pas à nos sociétés permissives et sans frontières. L’oppression d’autrui laisse la place à la dépression ; l’exploitation d’autrui est remplacée par l’auto-exploitation et l’auto-optimisation volontaire. Dans la société de la performance, l’homme est d’abord en guerre contre lui-même.
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