“Céder n’est pas consentir”, de Clotilde Leguil
« Céder n’est pas consentir. » C’est à partir de cette phrase lue sur les affiches des « collages féminicides » dans les rues, que la philosophe et psychanalyste Clotilde Leguil engage une généreuse réflexion, menée entre autres avec Kant, Rousseau, Freud et Lacan.
Se demandant ce que recouvre la notion de consentement en matière de sexualité, elle en offre une stimulante « approche clinique et politique » et pose au moins trois jalons :
- le consentement n’est pas le simple contrat ;
- la logique du consentement pourrait offrir un modèle pour penser le pacte politique ;
- le témoignage des victimes abusées repose sur une complémentarité entre des voix subjectives et une voix collective.
Consentir n’est pas tout accepter
Dans le domaine de la sexualité, la frontière tient sur une ligne de crête : le laisser-faire, qui peut à tout moment basculer dans une forme de « forçage ». C’est qu’on ne sait pas a priori à quoi l’on s’engage exactement lorsqu’on consent, jusqu’où cela peut conduire, ni au nom de quoi on se laisse faire. Clotilde Leguil analyse ainsi la célèbre formule de Jacques Lacan affirmant qu’il ne faut pas « céder sur son désir ». Elle montre que « céder sur » se distingue radicalement de « céder à », qui caractérise au contraire une situation traumatique. Car alors « il ne s’agit plus de lâcheté envers le désir, le sien avant tout mais d’impossibilité de se soustraire à la pulsion de l’autre. »
Une pacte de confiance, plus qu’un contrat
Contre les caricatures faisant du consentement sexuel une contractualisation outrancière, Leguil souligne que le consentement n’est précisément pas le contrat et pourrait même être un modèle pour penser l’engagement politique. Dans les pas de Rousseau, Clotilde Leguil souligne en effet que le pacte social « n’est pas tout à fait identique au contrat. Il est beaucoup “plus” qu’un simple contrat », et nous fait sortir du domaine purement rationnel ou juridique. « Car finalement, c’est bien d’un pacte de confiance qu’il est question, aussi bien dans le consentement intime que dans le consentement politique et ce pacte met en jeu le rapport à la parole. »
Comment faire entendre l’abus ?
Enfin, c’est l’un des nombreux apports de ce riche essai, s’agissant du rapport à la parole, l’autrice explore à quelles conditions une parole peut advenir après un abus : pourquoi des témoignages comme celui de Vanessa Springora ou de Camille Kouchner ont-ils mis si longtemps à être entendus ? Pourquoi un si long silence ? C’est d’abord qu’un traumatisme est littéralement « inarticulable », « inassimilable », il est ce « qui ne peut être assimilé, ni par le corps, ni par le monde des mots, reste là, intact, menaçant, faisant trembler les fondations de l’être. » Et pourquoi, à un moment, la parole est-elle rendue possible ? La libération de la parole est le fruit d’une dialectique entre une voix subjective personnelle et une voix publique collective. Cette articulation, la littérature le permet. Clotilde Leguil cite son admiration pour Le Lambeau, le récit de Philippe Lançon après l’attentat à Charlie Hebdo, et elle écrit : « Récit, fiction, témoignage, l’écrit permet de faire advenir une autre langue. La lenteur de l’écriture peut être salvatrice, car le temps pour dire ne va pas sans ce rapport au silence qui s’est imposé une première fois et qui a laissé un être privé de langue. La lecture est alors aussi un moment d’arrachement au bruissement du discours pour se laisser envelopper par la voix d’un seul. »
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