Denis Peschanski : “Rendre compte du 13 novembre à travers la parole des témoins”

Vous avez retracé les événements du 13 novembre minute par minute à travers une succession de propos rapportés de quelque 360 témoins directs. Dans quel but ?

Denis Peschanski : Ce livre n’est qu’une étape, un début ! Nous voulons voir comment évoluent les mémoires individuelles et collectives dans le temps, comprendre comment émerge un récit collectif et comment les personnes qui ont vécu plus ou moins directement les événements de ce 13 novembre interagissent avec ce récit. Comment se l’approprient-ils ? Comment l’influencent-ils au fil des années ? Dans le cadre du Programme 13-Novembre, nous avons donc interrogé 934 personnes : des survivants, des témoins, des policiers, des médecins, des politiques, des pompiers et des proches moins d’un an après les faits. Nous leur avons demandé de raconter leur 13 novembre une deuxième fois en 2018. Suivront encore deux autres sessions, en 2021 et 2026. Nous voulons constituer un patrimoine de la mémoire du 13 novembre, une source inégalée avec un protocole et des questions unifiées qui rendent les données exploitables pour l’historien mais aussi pour les sociologues, les neurologues, les psychologues. Ces données nous ont aussi permis d’écrire ce livre, qui constitue une première histoire de référence très précise. 

“Comme historien, j’étais réticent devant l’utilisation de témoignages comme sources de première main. […] Mais pouvoir faire parler les témoins très vite, cela nous a permis de faire du témoignage un objet de recherche”

Pour l’historien, quel est l’intérêt de disposer d’une telle quantité de témoignages ?

Au-delà du fait de croiser les sources pour établir précisément les faits, il y a une question épistémologique en jeu. Comme historien de la Seconde guerre mondiale, j’étais comme d’autres réticent devant l’utilisation de témoignages comme sources de première main. Moi, il m’est arrivé de faire témoigner des personnes quarante, cinquante ou soixante ans après les faits, avec toutes les déformations du temps et les processus de réappropriation du passé qu’on peut imaginer. Pour le 13 novembre, c’est différent. Le fait de pouvoir faire parler les témoins très vite, cela nous a permis de faire du témoignage un objet de recherche. Parfois, sur un épisode qui dure quelques secondes dans cette soirée, l’arrivée des pompiers à telle terrasse ou telles personnes qui fuient à tel endroit, nous pouvons avoir quatre, cinq voire dix témoignages qui se complètent. À partir d’une masse considérable de récits convergents ou divergents, en agrégeant ces points de vue décalés, on remarque que l’on arrive à une vérité de l’événement.