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Société

“Histoire de la violence”: le roman d’Édouard Louis rattrapé par le réel

Cédric Enjalbert publié le 10 mars 2016 5 min
Une affaire de mœurs pirandellienne met en cause le rapport de la littérature au réel. L’écrivain Édouard Louis est assigné en référé par Reda B., le personnage principal de son dernier roman, “Histoire de la violence”, pour atteinte à la vie privée et à la présomption d’innocence.

Dans ce livre, « il n’y a pas une seule ligne de fiction » affirme Édouard Louis à propos de son Histoire de la violence. Il y décrit, le soir de noël 2012, sa rencontre avec un trentenaire, place de la République, à Paris. Attirance réciproque : les deux hommes se retrouvent rapidement dans l’appartement minuscule d’Édouard Louis. Dans ce huis clos, la relation sexuelle et l’échange amical, durant lequel l’inconnu évoque sa famille, les humiliations subies, son père immigré algérien, tournent au drame : Reda vole l’écrivain, le menace avec une arme, l’étrangle et le viole. Ce dernier porte plainte.

Il raconte ensuite l’histoire à sa sœur, Clara, qui la raconte à son tour à son mari. De cette version rapportée qu’il entend au travers d’une cloison, Édouard Louis tire la voix de son roman. « Il y avait une sorte de volonté égalitariste quand j’ai écrit Histoire de la violence, explique-t-il dans un entretien au magazine Diacritik. Je me disais que si je racontais l’histoire de Reda, si ce n’était pas lui qui le faisait, alors quelqu’un devait raconter mon histoire – c’est finalement Clara qui s’en charge – je ne pouvais pas exactement le faire moi-même, je pensais que cette mise à égalité permettrait de mieux comprendre ce qui est arrivé dans l’espace de ce huis clos, d’être au plus proche de la vérité. »


Rebondissement pirandellien

Pari littéraire, succès critique… et rebondissement pirandellien ! Car Reda B. a finalement été arrêté pour une affaire de stupéfiant, le 11 janvier 2016, soit trois ans après les faits et seulement quatre jours après la parution du roman qu’Édouard Louis se plaît à dire « non fictionnel », ou plutôt « scientifique », selon le mot de Zola. Une comparaison avec les relevés d’ADN prélevé chez l’auteur confirme l’identité du prévenu, lequel reconnaît avoir eu une relation avec l’auteur, mais se défend de toute agression. Mieux, lui qui s’est reconnu dans le roman, contre-attaque ! Selon BilbiObs qui révèle les détails de l’affaire, il assigne Édouard Louis en référé pour « atteinte à la présomption d’innocence » et « atteinte à la vie privée ». Bref, le personnage se retourne contre son auteur.

Où est donc la vérité dans cette histoire ? Partout dans le livre, ajoute Édouard Louis qui refuse pour son roman l’étiquette « fiction » et même « autofiction ». Car le dire vrai hante l’auteur, qui écrit pour engager sa responsabilité vis-à-vis du monde convaincu, après Sartre,  que la « révélation » est la tâche de l'écrivain, et que « dévoiler, c’est changer ». Dire vrai donc, « combler l’écart entre la réalité et ce qu’on dit de la réalité », et trouver les moyens d’expression pour le faire, inventer la langue neuve qui permet d’aller au plus près de la vérité de l’expérience vécue, de se la réapproprier. Édouard Louis écrit, à propos de l’écriture de son premier livre, avoir eu pour point de départ « une sorte de volonté de vérité […] que toute la conception du livre était hantée par cette volonté de dire le vrai, que tout le travail stylistique, formel, l’agencement des chapitres et des paragraphes, la ponctuation, les langages qui s’y affrontent, que tout ça était le résultat d’une recherche de la vérité par les outils de la littérature (qui en ce sens, peut être beaucoup plus puissante que le témoignage pour restituer la réalité ). »

Cette profession de foi littéraire fait-elle pour autant de l’œuvre romanesque l’équivalent d’un procès-verbal ? Peut-elle, à ce titre, étayer l’instruction d’un dossier judiciaire ? La juge des libertés chargée de l’affaire, citée par BibliObs, mentionne étonnement dans son ordonnance la parution du livre comme une circonstance aggravante justifiant le placement en détention du prévenu, compte tenu « que l’une des victimes est écrivain et qu’à l’occasion de la sortie de son dernier roman Histoire de la violence sous la signature d’Édouard Louis se sont trouvés évoqués publiquement à nouveau ces faits dont les conséquences préjudiciables ont pu être réactualisées ».


Champ littéraire

Quel est donc le statut de ce roman non fictionnel ? Vaste question que pose le retour du réel par la bande judiciaire dans l’œuvre littéraire. « Ce qu’il y a de plus dans Histoire de la violence, par rapport à Eddy Bellegueule, précise Édouard Louis au magazine Diacritik, c’est ça, c’est tout ce qui n’appartient pas au champ du vécu immédiat, toutes les vérités contre lesquelles on lutte dans l’existence, toutes les vérités qu’on connaît et qu’on ne veut pas savoir. » L’écrivain témoigne lui-même de son effort pour définir à nouveau frais les frontières de la littérature, ainsi que l’espace de liberté et de vérité qu’elle dessine. La notion de champ littéraire, Pierre Bourdieu la développe dans Les Règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire. Elle permet selon lui de penser la relation entre l’activité de l’écrivain et sa représentation dans le champ social. Ce « champ littéraire » est le lieu d’une lutte pour la définition même de l’écrivain et de la littérature. Bref, le texte littéraire, plus qu’une œuvre autonome, est une symbolisation du social, qui répond aussi au « principe de la non-conscience : les relations sociales ne sauraient se réduire à des rapports entre subjectivités animées par des intentions ou des “motivations” parce qu'elles s'établissent entre des conditions et des positions sociales et qu'elles ont, du même coup, plus de réalité que les sujets qu'elles lient ».

 

Responsabilité de l’écrivain

En écrivant En finir avec Eddy Bellegueule Édouard Louis témoignait de son ambition : faire du littéraire avec du matériau non littéraire et faire parler le « langage populaire, celui des dominés » d’un point de vue qui ne soit pas « bourgeois sur la langue des classes populaires ». Dans son Histoire de la violence, dont le titre sonne comme un hommage à Michel Foucault et à ses histoires critiques des marges, de la sexualité et de la pensée, tout se passe comme si il tentait de ramener ce rapport structurel de domination en pleine lumière, dans l’acte même d’écrire, en manipulant plusieurs voix – la sienne, celle du narrateur, celle de sa sœur, celle de Réda. Il élargit ainsi le champ littéraire au point de définir un genre romanesque ni fictionnel ni autofictionnel, faisant voir, pour reprendre une métaphore de Bourdieu, ces lunettes avec lesquelles nous voyons, désignant, autrement dit, ce qui relève de la « non-conscience ».

Dans l’introduction de l’ouvrage qu’il coordonne, intitulé Pierre Bourdieu. L’insoumission en héritage, Édouard Louis signe ces mots qui ont valeur de vocation : « La responsabilité de l’écrivain, c’est de faire exister son discours dans ce champ de lutte afin qu’il puisse y jouer un rôle, et, peut-être “devenir un instrument collectif d’émancipation”. C’est donner à la vie intellectuelle et aux textes un sens pratique. » Aujourd’hui, par son intrication fortuite avec le réel et sa compromission avec la vie, l’Histoire de la violence expérimente cette ambition et donne un périmètre à ce champ de lutte.

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