Jacques Darriulat : le naufrage du MV Rena, emblème de l’absurde
En 2011, le photographe Graeme Brown saisit l’image d’un porte-conteneurs sombrant près des côtes de la Nouvelle-Zélande. Pour le philosophe Jacques Darriulat, ce cliché incarne l’essence de l’absurde. Comme une tour de Babel du monde contemporain, elle nous renvoie à l’insignifiance de notre quête de l’accumulation.
« Voici une photo du naufrage du porte-conteneurs MV Rena, qui a eu lieu le 5 octobre 2011 à une vingtaine de kilomètres du littoral et qui a causé une marée noire sur la Baie de l’Abondance, en Nouvelle-Zélande.
“Cette image saisit la catastrophe silencieuse qui s’accomplit dans la brume lentement mais d’une manière totalement irréversible”
Jacques Darriulat
Ce cliché est, selon moi, un document considérable de l’époque contemporaine dans la mesure où il nous met en présence d’un moment significatif. Une bonne photo saisit l’instant où les choses sont disposées de telle sorte qu’en figeant le temps, un calligramme [un poème graphique] apparaît. C’est ce que Baudelaire appelle la “circonstance” dans Le Peintre de la vie moderne [1863]. Cette image est particulièrement réussie parce qu’elle a su saisir le point ultime où la torsion arrive à la limite de la rupture, et la catastrophe silencieuse s’accomplit lentement dans la brume mais d’une manière totalement irréversible.
La photographie est le grand document du XXe siècle, et peut-être aussi du XXIe, pour dire la vérité des choses ; plus que la peinture, qui est entrée dans une crise de la figuration, et peut-être aussi plus que le cinéma, qui soumet la photographie à la contrainte de la narration. Là, au contraire, il n’y a pas de récit, c’est une espèce d’emblème, de blason figé à jamais qui dit quelque chose par son silence même.
Ce qui m’impressionne toujours dans la photographie, c’est aussi sa manière de capturer des détails tout à fait aléatoires mais qui prennent sens. “Monrovia”, par exemple, que l’on voit inscrit sur la coque, c’est la capitale du Libéria, qui est aussi un pavillon de complaisance. La capitale a été appelée ainsi du nom d’un président des États-Unis du XIXe siècle, James Monroe [1758-1831] qui menait une politique qualifiée “de bons sentiments” par les journalistes. Il déclamait de grands discours sur la fin de l’esclavage tout en employant lui-même quantité d’esclaves dans ses plantations. Toujours est-il que la ville de Monrovia a été fondée par une société américaine pour se disculper de la honte de l’esclavage, offrant ainsi un refuge aux anciens esclaves. Mais auparavant, elle avait un autre nom, qui avait été donné par l’association presbytérienne à l’origine de la ville : Christopolis. Donc Christopolis est devenu un pavillon de complaisance…
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