Jean-Bernard Daeppen : "Entre les réseaux sociaux et le tabac, la différence de dangerosité est considérable”
De plus en plus de voix s’élèvent contre les réseaux sociaux et leur caractère addictif. Début octobre, Frances Haugen, une ancienne employée de Facebook devenue lanceuse d’alerte, a comparé les pratiques de la société de Mark Zuckerberg à celles de « l’industrie du tabac ». Justifié ? Nous avons posé la question à Jean-Bernard Daeppen, qui dirige le service de médecine des addictions au Centre hospitalier universitaire vaudois à Lausanne. Son analyse salue cette vigilance, mais de façon nuancée.
En quoi peut-on comparer une addiction fondée sur une substance comme le tabagisme ou l’alcoolisme à une addiction sans substance comme celle aux réseaux sociaux ?
Jean-Bernard Daeppen : Ce qu’on peut dire de vraiment fondé scientifiquement, c’est que [dès 1980, dans la troisième version du manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, le DSM-III] l’addiction au jeu a intégré le livre de référence des diagnostics psychiatriques, le DSM, élaboré par consensus des experts. Dans le DSM-IV (1994), l’addiction au jeu était classée dans les troubles compulsifs non définis, et à partir du DSM-V de 2013, elle a été rattachée aux addictions avec substance. Pourquoi ? Parce que précisément, on s’est rendu compte de similitudes. Des études scientifiques montrent l’existence de phénomènes neurobiologiques communs aux addictions avec substances et sans substance. Les critères pour les déterminer, au nombre de onze, sont les mêmes – comme par exemple une augmentation de la consommation et une incapacité à la diminuer, des symptômes de manque... Il existe aussi des similitudes de traitement, avec des approches qui ont pour but d’apprendre à la personne à reconnaître ses comportements addictifs et à imaginer des alternatives. En revanche, les addictions aux réseaux sociaux, phénomène très récent, font partie d’un autre chapitre du DSM-V qui dit que ce sont des pathologies qui doivent être encore étudiées avant d’être clairement rattachées à une catégorie de diagnostics.
“Des études scientifiques montrent l’existence de phénomènes neurobiologiques communs aux addictions avec substances et sans substance”
Quel est ce phénomène neurobiologique commun aux addictions avec et sans substance ?
Il s’agit d’un dérèglement d’un système cérébral très ancien dans le développement des espèces, le système de la récompense. Tous les animaux, même très peu développés, sont dotés de quelques noyaux cérébraux logés dans une partie profonde du cerveau et qui font que, grosso modo, les activités qui perpétuent l’espèce – se nourrir et se reproduire – procurent du plaisir. On sait qu’un neurotransmetteur appelé la dopamine est associé à ce système de la récompense, et que les addictions à l’alcool et aux drogues mais aussi au jeu le sur-stimulent et en provoquent le dérèglement. De même, si vous développez une addiction à Twitter, au moment où vous vous y rendez, vous allez éprouver une sorte d’excitation agréable puis un léger sentiment de bien-être lorsque vous lisez quelque chose d’intéressant, avant éventuellement de ressentir une sorte de lassitude et d’ennui.
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