Jean-Luc Marion. « Le phénomène érotique exige la venue du Jugement dernier »
Pour le phénoménologue chrétien Jean-Luc Marion, c’est la déclaration d’amour même qui nous laisse comprendre ce que le sentiment amoureux a d’exceptionnel : elle est un appel à une réponse que seul Dieu, finalement, donne.
Dire « je t’aime » implique-t-il, selon vous, une promesse d’éternité ?
Jean-Luc Marion : Personne ne peut être certain d’aimer pour toute sa vie, mais dire « je t’aime » exclut néanmoins qu’on y mette la moindre limite temporelle. Si vous disiez à quelqu’un : « Je t’aime pour telle période, pour une durée limitée », autant vaudrait-il dire « Je ne t’aime pas » ! La déclaration d’amour ne se conçoit que comme un CDI, jamais comme un CDD. Elle engage toujours, d’une certaine manière, à définir l’éternité. Une autre caractéristique temporelle fait du « Je t’aime » un énoncé absolument exceptionnel : il s’accommode et même exige sa répétition : rien de ridicule à ce que les amants se rappellent toutes les dix minutes pour s’entendre dire « Je t’aime ». C’est au contraire absolument logique, car l’intervalle entre deux déclarations suffit à les angoisser (et la situation était encore pire, quand il fallait passer par la lettre sur papier : la déclaration arrivait quarante-huit heures après avoir été écrite, donc on pouvait toujours se demander si elle restait d’actualité au moment même d’ouvrir l’enveloppe). Mais dans la déclaration, la répétition ne signe aucun échec, elle assure plutôt une temporalité, tournée vers l’éternité.
S’agit-il donc d’une formule absolument singulière ?
Elle échappe en effet à la plupart des classifications. Ainsi, au contraire d’autres énonciations, on ne peut pas dire « Je t’aime » (en y conservant la signification amoureuse) à plus d’une personne à la fois au même moment. De plus, la déclaration n’a plus le même sens si le verbe « aimer » est conjugué à toute autre personne qu’à la première, car « Tu aimes » ou « Il aime » restent seulement descriptifs, tandis que « Je t’aime » ne donne pas d’informations sur le monde ambiant, ni même sur mon état psychologique intime (on peut dire « Je t’aime » en détestant quelqu’un ou en n’éprouvant rien pour lui), mais indique un engagement. Il ne s’agit pourtant pas d’un performatif, c’est-à-dire une déclaration qui devient un fait accompli par sa simple énonciation (comme « Je vous pardonne au nom de Dieu », « Je vous arrête au nom de la loi », etc.), car il ne suffit pas de le dire pour aimer (lire l’entretien avec John Searle p. 56). Il s’agit d’une phrase qui, certes, tend à produire un effet sur celui qui l’écoute, mais un effet qui n’est pas toujours adéquat à ce qui est dit. Je peux (vouloir) dire « Je t’aime » à quelqu’un, précisément parce qu’il ne m’aime pas, parce qu’il croit que je ne l’aime pas, voire parce que je ne l’aime pas, mais veux qu’il m’aime pourtant. Je cherche alors à le placer dans une telle situation du simple fait que je lui dis l’aimer. Il s’agirait donc non d’un acte illocutoire, mais précisément d’un perlocutoire : ce que je dis vise à avoir un effet sur celui qui l’entend, effet qui ne coïncide pas toujours avec ce qui est dit. Mais il s’agit toujours d’une action sur mon interlocuteur, à qui j’impose de décider s’il m’aime en retour : je me compromets, pour qu’il se compromette. Il s’agit d’un appel, donc d’un appel à réponse.
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