Jeanne Burgart Goutal : “Il m’a fallu réinitialiser mon cerveau pour appréhender le réel”
De son long voyage en Inde sur les pas du mouvement écoféministe, la philosophe retient une expérience formatrice, qui l’a initiée à une autre forme de pensée, plus polyphonique et moins obsédée par le souci de l’unité.
« Vouloir changer de logique me travaille depuis longtemps. C’est l’une des raisons pour lesquelles je fais de la philosophie. Car avant même d’aller à l’autre bout du monde, elle est déjà un voyage dans un pays où l’on dépasse la logique binaire. Mon mémoire de maîtrise portait ainsi sur le concept de contradiction chez Hegel et Nietzsche. Hegel invite à dépasser ce qu’il appelle la “logique d’entendement” au profit d’une pensée dialectique, qui avance par négations et renversements. Le deuxième jalon de ma quête a été l’étude du féminisme. La philosophe Luce Irigaray soutient que la pensée dominante en Occident s’est construite sur une logique patriarcale, celle du Même, de l’Un, et qu’une pensée féminine serait au contraire l’occasion de réfléchir à partir de l’Autre, du Deux. Enfin, il y a eu mon voyage en Inde, où je suis restée pour faire des recherches. J’avais l’impression de débarquer dans un univers sans aucun repère, incapable de comprendre comment les gens pensaient, où était le vrai, où était le faux. Mes repères habituels me semblaient inutiles, voire parasites. Il m’a fallu réinitialiser mon cerveau pour appréhender le réel. On peut subir ce dépaysement à contrecœur et le vivre très mal, ou trouver enthousiasmant d’essayer de se débarrasser de soi, même si l’on n’y parvient jamais complètement. Dans Provincialiser l’Europe [2000 ; trad. fr. Éditions Amsterdam, 2020], l’historien indien Dipesh Chakrabarty défait le mythe selon lequel il serait possible de traduire de façon transparente un imaginaire culturel dans un autre. Vouloir devenir indien d’un coup, vénérer le panthéon hindouiste ou sentir ses chakras me semble illusoire. Il est plus intéressant de voir comment les idées circulent et s’hybrident, dans des jeux de traduction, avec tous les malentendus créatifs qu’ils supposent.
Confrontés à des structures de domination écrasantes ou à un monde en mutation, nos cinq témoins ont vécu un choc existentiel. Ils expliquent ici…
On ne naît pas féministe, on le devient. En tout cas, certaines injustices et autres événements décisifs de la vie, peuvent déclencher une épiphanie très…
C’est l’une des étoiles montantes de la philosophie, mais il a fallu qu’il traverse l’Atlantique pour trouver la reconnaissance. Entre Dakar,…
En gagnant en popularité, le yoga a peut-être perdu un peu de son âme. Et si un simple objet, le tapis sur lequel les pratiquants se mettent dans…
Figure singulière et méconnue du féminisme français, la femme de lettres et militante Françoise d’Eaubonne (1920-2005), née…
À la croisée de l’écoféminisme, de l’intersectionnalité et de la pensée décoloniale, la philosophe Isabelle Stengers décèle des liens intimes entre la destruction de la nature par le capitalisme, la domination des femmes dans le système…
Après Va savoir, Jeanne Balibar renoue avec l’univers de Jacques Rivette. Dans son dernier film – Ne touchez pas à la hache – elle incarne une héroïne de Balzac, la duchesse de Langeais. Une femme qui a peur de s’abandonner.
Comédienne et chanteuse, Jeanne Balibar possède un timbre reconnaissable entre mille. Cette normalienne, fille du philosophe Étienne Balibar et de la physicienne Françoise Balibar, a abandonné ses études d’histoire pour entrer au…