Société

Jeux de mains, jeux de vilains

Isabelle Sorente publié le 3 min

Le happy slapping – distribuer joyeusement des gifles… ou pire – est un jeu cruel. Entre tradition hooligan et culture high-tech, son but est de produire des images, preuves de l’humiliation et de l’anéantissement de la victime.

Avril 2006, dans un lycée des Yvelines, un élève frappe une enseignante. La scène, filmée sur un téléphone portable, circule dans l’établissement, les médias parlent de happy slapping, « joyeuses baffes » en français. Aujourd’hui, le terme désigne toutes sortes d’agressions filmées – de la gifle au viol, voire au meurtre. Quel rapport entre un crime et ce qui se présente comme un jeu ? À l’origine, une pratique qui nous vient du Royaume-Uni entre tradition hooligan et culture high-tech : fondre sur quelqu’un, le gifler et filmer la scène. Bus, galerie marchande, métro, collège : la ville est le décor de ce happening brutal, dont la seule finalité est de produire une image. Tapez « vidéos happy slapping » sur Google, vous pourrez visionner une série de films brefs. Certains sont plutôt bon enfant, ambiance film familial déjanté – une sœur gifle son frère, la classique bagarre entre copains – où « slappers » et « slappés » paraissent ensemble à l’écran, et finalement complices. Autres images, autre ambiance : dans un bus, un type donne une gifle violente à un vagabond, endormi sur une banquette. Une jeune femme, assise, fume une cigarette : giflée au passage, sa tête valdingue. Un garçon jeté à bas de son vélo s’étale sur le macadam… Aucune compassion dans ces images. L’agresseur – le slapper – n’apparaît pas. Invisible et tout-puissant, il devient la force brutale du hasard, la légende urbaine qui s’abat sur sa victime. Cette victime n’est plus qu’une « tête à claques », au visage flou et déformé : une image, dont le ridicule légitime a posteriori l’agression. C’est la même sensation que l’on éprouve dans certaines émissions de télévision, dans lesquelles les invités sont transformés en « têtes à claques » par les animateurs, comme pour démontrer une différence radicale, une infériorité qui légitimerait après coup l’humiliation.

Expresso : les parcours interactifs
Épicure et le bonheur
Pourquoi avons-nous tant de mal à être heureux ? Parce que nous ne suivons pas le chemin adéquat pour atteindre le bonheur, nous explique Épicure, qui propose sa propre voie. 
Sur le même sujet


Article
2 min
Alexandre Lacroix

Dans une veine qui évoque aussi bien les moralistes français qu’Alberto Moravia, Philippe Vilain ne cesse d’écrire sur ses amours. Dix romans, presque autant de relations qui butent chacune sur un écueil : le saut de la paternité dans …


Article
3 min
Mehdi Belhaj Kacem

Souvent méprisés par les philosophes, l’humiliation et le ressentiment constituent pourtant un moteur de l’humanité… et peut-être même de la démocratie. Deux livres – Humiliation et Le Ressentiment, passion sociale – creusent ces…


Article
9 min
Ariane Nicolas

Les révélations de Camille Kouchner sur l’inceste dont son frère a été victime suscitent une vague d’émotion médiatique et de « libération de…

Un inceste peut-il (vraiment) être consenti ?